Une modernisation ambitieuse des systèmes informatiques d'Hydro-Québec coûtera deux fois plus cher que prévu. La facture pourrait atteindre près de 600 millions, selon une étude qui sera rendue publique demain par l'Institut économique de Montréal. L'auteur de l'étude est l'ancien patron de la Standard Life, Claude Garcia.

En s'appuyant sur les coûts de financement communiqués par Hydro à la Régie de l'énergie pour ses demandes de hausse de tarifs de 2008, M. Garcia soutient que, à terme, le projet aura coûté près de 600 millions à la société d'État. «Pour un peu plus de trois millions d'abonnés, cela fait près de 200$ par client... c'est très, très élevé» observe M. Garcia dans un entretien à La Presse.

 

L'étude d'une centaine de pages va bien au-delà de ce dossier et conclut que ce dérapage financier ne serait pas survenu si la société était privée et avait dû en répondre à des actionnaires.

Ainsi donc, les contribuables québécois bénéficieraient de l'éventuelle privatisation d'Hydro-Québec. Ce passage au privé, soumis à un échéancier et à des balises précises, amènerait une augmentation importante de tarifs. Mais l'opération permettrait à d'autres fournisseurs d'électricité d'entrer en concurrence, un changement aussi important - et salutaire - que ce qui est arrivé dans le monde de la téléphonie, observe M. Garcia, qui siège à de nombreux conseils d'administration, dont celui de la Caisse de dépôt.

«Constatez le dynamisme qu'a amené la fin du monopole dans le secteur de la téléphonie», a dit M. Garcia, qui réserve toutefois pour demain l'essentiel de sa démonstration.

Ambitieux projet

Le système actuel d'encadrement par la Régie de l'énergie a donné le feu vert au projet «Système d'information clientèle», annoncé en juin 2002. Il devait alors coûter 270 millions de dollars. Six mois plus tard, le mandat, confié pour l'essentiel à CAP-Gemini, était rendu à 320 millions.

À Hydro-Québec, la semaine dernière, une porte-parole a souligné que le dernier coût établi pour ce projet entre 2003 et 2007 était de 470 millions. On doit actualiser ce chiffre dans les prochains jours.

Il s'agit d'un projet titanesque: intégrer les quelque 200 logiciels auparavant utilisés par Hydro dans ses relations avec ses abonnés. Le projet devait permettre à Hydro Distribution «d'améliorer la productivité des activités associées au service à la clientèle», a résumé la Régie quand elle a donné le feu vert au projet.

Les conséquences de ces changements aux systèmes de facturation avaient fait les manchettes il y a un an. Le président, Thierry Vandal, avait accordé des entrevues pour expliquer les problèmes apparus à l'usage. Aussi, a-t-on appris par ailleurs, devant ces dérapages, Hydro avait décidé de «stabiliser» l'application de cette phase avant de passer à la suivante, ce qui supposait qu'on maintienne en poste les équipes d'informaticiens pendant un an de plus que prévu.

Des sources proches de la société d'État soulignent aussi que les coûts de formation du personnel au nouveau système ont très largement dépassé les prévisions.

La Régie était bien consciente des enjeux et avait «correctement reconnu les risques de dérapages de l'échéancier et le dépassement de coûts», écrit M. Garcia. «Étant donné l'importance de la somme impliquée et les risques de dépassements inhérents aux projets reliés aux technologies de l'information», avait-elle mentionné en 2002, elle avait demandé un suivi serré du projet pour éviter que les abonnés d'Hydro aient à payer les dépassements de coûts à même leur facture d'électricité. Or, rien ne démontre que le suivi réclamé en 2002 ait été réalisé.

Échéanciers et retombées

En décortiquant les décisions de la Régie de l'énergie sur les demandes de hausses tarifaires d'Hydro, M. Garcia a constaté que la société d'État a largement surestimé les gains de productivité et les économies qui allaient être générées par le nouveau système informatique. Hydro prévoyait réaliser grâce aux gains de productivité des économies variant entre 21 et 24 millions par année, et de 27 à 30 millions par année en frais de service.

En 15 ans, on prévoyait des économies de 80 millions en dollars de 2002, des gains qui commençaient à apparaître en 2008, la deuxième année d'implantation.

Hydro a eu tout faux. Le projet accuse un «retard minimum» de 21 mois par rapport à la proposition faite en 2002 par Hydro à la Régie, pour un projet de 320 millions. La mise en service devait se faire à coût neutre, croyait-on à l'époque. En 2007, Hydro a refait ses devoirs. Pour l'année 2008, l'ensemble des coûts de la division Distribution augmentait de 38,8 millions, dont 34,5 étaient liés à la mise en service du nouveau système informatique.

Hydro pensait que ses frais d'exploitation pourraient être réduits de 54,5 millions par année. Or ces bénéfices escomptés ne sont plus que de 20 millions par année, à partir de 2009 seulement. Les coûts d'amortissement de 21 millions et les frais financiers de 16 millions sont clairement insuffisants. Hydro, dans sa demande de hausse pour 2008, a inscrit des charges de 39 millions pour l'amortissement et de 29 millions pour les frais financiers, a relevé M. Garcia, des chiffres qui démontrent selon lui que les coûts du projet ont plus que doublé. «Ils se rapprochent maintenant de 600 millions.»

Au privé

Dans une entreprise privée, les actionnaires auraient écopé d'un tel fiasco, affirme M. Garcia. Pour Hydro, cela se transformera en profits moins élevés. «Elle réduira d'autant sa contribution à la société québécoise», déplore M. Garcia.

Comme elle peut demander des hausses de tarifs à mesure que ses coûts augmentent, Hydro «ne subit aucune pénalité de cet important dépassement de budget». Il y a même un effet pervers au système actuel: ces dépassements profitent à Hydro. La Régie lui accorde un rendement de 7,74% sur son avoir propre, et 35% de ces coûts excédentaires sont assimilés à son avoir propre.