Et si les agents de fouille des aéroports pouvaient voir à travers les vêtements d'un passager? Ce scénario de science-fiction est déjà réalité dans certains aéroports européens et américains, où des scanners permettent de faire des fouilles à nu virtuelles. Le Canada vient pour sa part de terminer un projet pilote qui pourrait ouvrir la voie à l'implantation de cette technologie dans les aéroports du pays. Déjà, les défenseurs de la vie privée s'inquiètent.

D'ici quelques mois, les passagers à l'aéroport de Montréal pourraient être appelés à se dénuder - virtuellement - devant des agents de fouille du gouvernement fédéral.

 

Sans le crier sur les toits, Ottawa vient de terminer, le mois dernier, le projet pilote de nouveaux scanners qui permettent de voir à travers les vêtements et les sous-vêtements.

Cette technologie récente est déjà présente dans certains aéroports américains et européens, où elle a soulevé plusieurs débats au cours des derniers mois.

L'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA), qui a coordonné les essais à l'aéroport de Kelowna, en Colombie-Britannique, planche actuellement sur son rapport, qu'elle devrait remettre à Transports Canada d'ici quelques mois.

Or, selon des experts en matière de sécurité et des groupes de défense des droits de la personne, les chances que le gouvernement décide d'aller contre la tendance mondiale sont bien minces.

«Que les évaluations soient positives ou négatives, la conclusion va très certainement être que ça en prend quand même», croit Stéphane Leman-Langlois, professeur de criminologie à l'Université de Montréal et spécialiste des questions de surveillance, de sécurité et de terrorisme.

«En général, même si on ne voit pas d'amélioration dans la détection, on se dit que ça peut être utile pour LA fois où ça va détecter un terroriste.»

Fouille à nu virtuelle?

L'appareil testé à Kelowna est un scanner à ondes millimétriques, fabriqué par la compagnie américaine L3 Communications. Il ressemble à une cabine d'ascenseur, dans laquelle des ondes radio balaient le corps du passager.

L'appareil reconstitue alors en trois dimensions l'image de ce corps - nu - sur un écran. Si un objet, comme une arme, a été caché sous les vêtements, il apparaît ainsi au grand jour.

Sur l'internet, où les images tirées de ces scanners abondent, leur qualité est très variable. Mais il ne faut pas s'y méprendre, croit le professeur Leman-Langlois. «L'image que ça donne, ce n'est pas l'image de quelqu'un qui serait effectivement nu. Mais quand même, on a une image qui révèle beaucoup.»

L3 Communications, qui vend ses appareils ProVision pour quelque 170 000$ chacun, fait valoir qu'au contraire, «le poste de travail montre une silhouette holographique en noir et blanc qui rend presque impossible l'identification de qui que ce soit».

Dans son projet pilote, l'ACSTA a imité son homologue américaine, la Transportation Security Administration, et a gardé l'agent chargé de visionner les images dans une autre salle que celle des passagers, en plus de garantir que ces images seraient supprimées après leur visionnement.

Mais ces précautions ne rassurent pas tout le monde. Pour Micheal Vonn, directrice des politiques à l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, il s'agit d'une violation pure et simple de la dignité et de la vie privée des passagers.

«Ce que l'ACSTA veut que l'on croie, c'est qu'à moins de se dénuder, il n'est pas sécuritaire de monter à bord d'un avion. Et je ne pense pas que le public en général avale cela «, s'insurge-t-elle.

Elle craint que ces scanners ne deviennent un passage obligé pour tous les passagers plutôt qu'un moyen secondaire de fouiller ceux qui sont considérés suspects après un passage au détecteur de métal, par exemple.

Stéphane Leman-Langlois associe de son côté un risque aux attitudes parfois trop tolérantes de la population canadienne. «D'ici quelques mois ou quelques années, on va pouvoir diagnostiquer des maladies, des problèmes de santé, des problèmes génétiques, des états psychiques et psychologiques à distance», dit-il.

«C'est une porte d'entrée, note le professeur. Et si ça ne soulève aucun débat cette fois-ci, on va seulement adopter les autres plus facilement.»

Jeux de coulisses?

L'ACSTA planche donc sur son rapport final et devrait le rendre public d'ici quelques mois. Il sera d'abord communiqué à Transports Canada, qui a le pouvoir de décider du sort de ces appareils.

Une copie sera aussi remise à la commissaire à la protection de la vie privée. Lors de l'annonce du projet pilote, Jennifer Stoddart avait émis publiquement certaines craintes. Mais celles-ci semblent s'être quelque peu dissipées : son bureau a indiqué la semaine dernière qu'elle ne rédigerait peut-être pas de rapport indépendant sur la question, et qu'elle n'avait envoyé qu'une seule personne à Kelowna, une seule fois, pour examiner le fonctionnement de l'appareil.

La commissaire compte se fier en bonne partie au rapport de l'ACSTA. Or, l'agence a elle-même eu recours aux services d'un consultant privé, la firme Intervistas, pour recueillir certaines données, dont le degré de satisfaction des usagers.

Cette même firme a récemment multiplié les rencontres avec de hauts fonctionnaires de Transports Canada et de l'Agence des services frontaliers du Canada, pour divers clients, dont Aéroports de Montréal.

Les personnes présentes à ces rencontres ont nié que le dossier des scanners à ondes millimétriques avait été abordé.

Chez ADM, on a simplement indiqué que ces rencontres avaient pour but de promouvoir les visées du Conseil des aéroports du Canada pour accélérer le flot des passagers. Quant au scanner, on a invité La Presse à communiquer avec l'ACSTA à ce sujet.

«En général, nous encourageons l'utilisation de la technologie si cela améliore la sécurité tout en facilitant le flot des passagers. Mais je ne peux être plus spécifique sur cette question-là... Nous ne prenons pas le rôle d'endosser une technologie en particulier», a quant à lui déclaré le directeur des communications du Conseil des aéroports du Canada, Daniel-Robert Gooch.

La suite dans le rapport de l'ACSTA, donc, d'ici quelques mois. Un document que Micheal Vonn attend de pied ferme. Car en général, «ces projets pilotes ne sont pas de la recherche», estime-t-elle. «Ils sont des tentatives de normaliser ce genre de technologies. Et de recueillir des données qui vont aider à les faire adopter.»

Avec William Leclerc