La Sûreté du Québec mène depuis deux ans une enquête sur une affaire de blanchiment d'argent qui lui a permis de découvrir des relations étonnantes entre un dirigeant de la FTQ-Construction et le crime organisé. L'enquête doit arriver à ses conclusions ce printemps, a appris La Presse de sources policières

Au cours de leur investigation, les policiers ont obtenu des informations au sujet des liens entretenus par le directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, avec des membres du monde interlope, notamment des Hells Angels.

Selon des informations recueillies par La Presse autant au sein de la FTQ, à la SQ et au gouvernement du Québec, M. Dupuis et le président de la FTQ-Construction, Jean Lavallée, ont dû quitter précipitamment leurs postes en septembre 2008 à la demande expresse du président de la FTQ, Michel Arsenault.

M. Arsenault venait d'être informé par des policiers que quelque chose ne tournait pas rond à la barre du syndicat de la construction, qui compte plus de 70 000 membres.

Dans le cadre de son enquête, qui portait sur des histoires de blanchiment d'argent par les Hells Angels, la SQ a en effet obtenu des témoignages sur les liens entretenus par Jocelyn Dupuis et un membre important de ce groupe de motards, Normand «Casper» Ouimet.

Radio-Canada a aussi révélé mercredi soir que M. Dupuis entretient des liens étroits avec le criminel notoire Raynald Desjardins, associé au clan du chef de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto.

Sans être directement lié à cette affaire, le patron de M. Dupuis, Jean Lavallée a aussi écopé, et a dû quitter ses fonctions de président de la FTQ-Construction, le syndicat qu'il avait fondé en 1981. Il est retourné à son syndicat d'origine, dans son ancien poste de directeur de la Fraternité inter-provinciale des ouvriers en électricité (FIPOE), au 11 étage de l'édifice de la FTQ. Ce n'est qu'en novembre, deux mois plus tard que MM. Dupuis et Lavallée ont été remplacés.

«Personne n'a donné d'explications, les bureaux étaient vid es, et personne n'a posé de questions», a confié une source à la centrale, confirmant l'étonnement des employés en apprenant ces départs inattendus.

Entrepreneurs menacés

À l'automne 2008, La Presse avait vérifié ces informations embarrassantes auprès de René Roy, secrétaire de la FTQ, qui avait justifié les départs par l'âge de M. Lavallée (68 ans) et le désir de faire autre chose de M. Dupuis.

Les sources qui confirment la tenue de cette enquête policière très vaste, qui a déjà coûté des millions de dollars, expliquent que les gangs de motards tentent constamment de trouver des sources légales de revenus pour légitimer les recettes du trafic de drogue. C'est ce qui explique leur désir de se rapprocher du secteur de la construction.

La police a depuis deux ans reçu plusieurs plaintes d'entrepreneurs forcés d'accepter la présence d'employés peu recommandables sur leur «pay roll», avec la bénédiction de la FTQ-Construction. Un de ces entrepreneurs a expliqué à La Presse qu'on a voulu le forcer à embaucher des fiers-à-bras qui ne se gênaient pas pour ralentir l'exécution des travaux, allant parfois jusqu'à l'intimidation, aux vols d'équipement et aux menaces, afin de prendre le contrôle du chantier de construction.

Mutisme à la FTQ

La Presse a maintes fois tenté au cours des deux dernières semaines d'obtenir les explications de Michel Arsenault, président de la FTQ, mais celui-ci se terre. Il y a deux semaines, La Presse a aussi interrogé le porte-parole de la FTQ, Louis Cauchy, lui spécifiant qu'une «enquête policière sur les liens entre la FTQ-Construction et le crime organisé» était en cours. M. Cauchy a alors rétorqué: «M. Arsenault n'a aucun commentaire».

Récemment, à Montréal, devant des personnes qui évoquaient devant lui les rumeurs d'une enquête policière sur le syndicat, M. Arsenault a pourtant confié: «Les gens ne sont plus là... nous on a fait notre job.»

Jean Lavallée n'a pas répondu davantage aux appels placés tant à son bureau qu'à sa résidence et sur son cellulaire. Quant à Jocelyn Dupuis, il a été impossible de le joindre.

Selon nos informations, c'est l'escouade mixte spécialisée dans les fraudes fiscales, une équipe formée d'enquêteurs de la SQ, du ministère du Revenu et de l'Autorité des marchés financiers, qui s'affaire à tirer au clair les rapports entre la FTQ-Construction et les gangs de motards.