«Le secret de la bonne alimentation tient en trois ingrédients, explique le Dr Adam Drewnowski, de l'Université de Washington. Il faut du temps, de l'argent et du savoir-faire. Si vous n'avez que l'argent, ça peut aller. Si vous avez du temps et du savoir-faire, vous pouvez vous débrouiller aussi. Mais en récession, on se retrouve avec une population qui n'a plus d'argent et qui n'a aucun savoir-faire. Et c'est très inquiétant.»

Depuis le début de ce ralentissement économique, deux courants très forts et totalement opposés ont été observés, en ce qui concerne l'alimentation. D'un côté, une partie de la population s'est mise à cuisiner davantage. De l'autre, les chaînes de restauration rapide font des affaires d'or.

Pour le Dr Drewnowski, il s'agit simplement d'une accentuation de l'alimentation à deux vitesses qui divise les Nord-Américains. Le fossé entre ceux qui savent, et qui peuvent, bien manger et ceux qui n'ont pas ce privilège se creuse. «Dans certains marchés, aux États-Unis, les gens font leur épicerie à la station service, dit-il. Pouvez-vous imaginer ce qu'ils mangent? Pour avoir le réflexe de cuisiner, vous devez avoir une certaine culture gastronomique. Ce qui est certainement plus présent au Québec qu'aux États-Unis où cette culture a complètement disparu.»

Adam Drewnowski est professeur de médecine et directeur du programme des sciences de la nutrition de l'Université de Washington. Il était à Montréal cette semaine pour donner une conférence présentée par l'Institut Danone dans le cadre du Salon international de l'alimentation (SIAL). Oui, dit-il, la hausse des prix amène inévitablement une réflexion sur la valeur que nous accordons à ce que nous mangeons. Mais cette réflexion n'est pas à la portée de tous.

«Changer son alimentation est une décision économique», dit-il. Car, calorie pour calorie, les aliments plus gras et plus sucrés coûtent généralement moins cher. «Paradoxalement, précise le Dr Drewnowski, on peut finir par payer moins cher pour manger plus. Mais ce sont des calories vides.»

Hausse remarquable du prix des aliments

La hausse du prix des aliments aux États-Unis a été très marquée, et remarquée, en 2008, alors qu'on se croyait ici à l'abri de la tempête.

Le prix des matières premières et des carburants est redescendu. On a cessé de parler du prix des denrées et de la crise alimentaire mondiale et voilà que Statistique Canada nous annonce maintenant d'importantes augmentations au supermarché.

Les dernières données font état d'une hausse de 7,4% du prix des aliments au détail, pour la dernière année. Pourquoi maintenant?

C'est la queue de la tempête, explique Bruno Larue, professeur au département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l'Université Laval. «Le dollar canadien a perdu des plumes, donc le prix des aliments importés a augmenté», dit-il. Aussi, le prix des grains demeure élevé, malgré sa diminution, et les entreprises de transformation alimentaire doivent toujours composer avec les hausses de l'année dernière, explique-t-il.

Entre l'automne 2007 et l'hiver 2008, le prix du blé a quadruplé, rappelle Robert Beauchemin, président de la meunerie La Milanaise et des Moulins de Soulanges. «Dans un bon pain, le prix des matières premières compte pour de 20% à 30% du prix de détail, dit-il. Mais le prix des pains, lui, n'a pas quadruplé. Les transformateurs ont absorbé une partie de la hausse. Certains ont mangé en deux mois leurs profits des cinq années précédentes.»

L'industrie alimentaire procède actuellement à un certain rattrapage sur le plan des prix, explique Sylvain Charlebois de la faculté d'administration de l'Université de Regina. «On lui demande depuis des années de fournir des produits sains, frais et à longueur d'année à très bas prix», dit-il.

Selon le professeur Charlebois, c'est aussi maintenant aux consommateurs de revoir leurs façons de manger. «On a beaucoup marginalisé l'alimentation, poursuit-il. On préfère payer pour un voyage à Cancun ou une très grande télévision à écran plat plutôt que pour l'épicerie. C'est un bon moment pour revoir les valeurs de consommation en général et même de l'alimentation. Les gens réalisent que bien se nourrir coûte cher.»

Les fruits et les légumes frais ont connu des hausses de prix considérables de 18% et 26%, comparativement à l'année dernière. En partie, les consommateurs réussissent à adapter leurs assiettes, croit le professeur Bruno Larue. «Les gens vont acheter des clémentines lorsqu'elles sont à bas prix et choisir des raisins quand le prix des clémentines va augmenter. Certains produits qui coûtent plus cher, comme les pâtes ou le pain, ne peuvent pas être remplacés si facilement. Les gens vont continuer de manger des pâtes, mais leurs caisses de 24 va peut-être durer plus longtemps. Ou ils vont acheter moins de pâtisseries.»

Citoyens, aux fourneaux!

Vrai, confirme Josée Fiset, des boulangeries Première Moisson. Au rayon dessert, les consommateurs vont plutôt choisir la tarte, dit-elle, moins chère que le gâteau sophistiqué et combien rassurante en ces temps d'inquiétude. Mais ils ne sont pas prêts à sabrer la qualité, insiste-t-elle. Plus maintenant que l'alimentation est au coeur des préoccupations. «Une des valeurs de notre société est de prendre soin de soi et d'investir dans sa santé, dit-elle. Les gens lient maintenant alimentation et santé. Et si on a moins de ressources financières, on peut quand même avoir plus de santé. La bonne alimentation a pris beaucoup d'importance.

«C'est une hypothèse, poursuit la boulangère, mais je crois que les gens vont manger différemment. Manger moins de viande, plus de pâtes ou de légumineuses, cuisiner davantage. Mais ils ne laisseront pas tomber leurs valeurs.»

Tous les sondages s'accordent sur ce point: les gens cuisinent plus depuis quelques mois. Les restaurants haut de gamme et milieu de gamme perdent des plumes, rappelle Robert Beauchemin, de la meunerie La Milanaise, mais pas les matières premières. Et il est bien placé pour le savoir. Même s'il est dans le créneau haut de gamme du bio, les affaires de ses moulins vont très bien ces temps-ci. «En 1982, 1987, 1991 et 1996, ça a toujours été la même chose. À chaque ralentissement, le bio remonte. Pourquoi? Parce qu'il représente un retour vers les aliments de base», explique Robert Beauchemin.

«La clientèle qui achète bio le fait parce que c'est dans ses valeurs. Pensez-vous qu'on va retourner au pain blanc en tranches parce qu'il y a une récession? Quelqu'un qui n'a jamais bu de Coca-Cola ne commencera pas à en boire parce que le prix du lait augmente.»