«J'ai peur qu'il reste ici toute sa vie, je me sens comme si je l'avais tué...»

Au bout du fil, la voix de Nathalie Morin est noyée par les sanglots. Séquestrée en Arabie Saoudite avec ses trois enfants, la jeune Québécoise s'inquiète surtout pour son fils aîné, Sameer.

Selon le diagnostic dressé par des médecins saoudiens, le garçon souffre de troubles psychomoteurs et d'encoprésie - une incapacité pathologique à contrôler ses intestins, vraisemblablement liée à sa situation familiale traumatisante.

Sameer a besoin d'un suivi pédiatrique. Mais son père, Saeed Al-Shahrani, néglige les soins médicaux. Quant à sa mère, elle est enfermée à double tour dans un appartement de Dammam, au bord du golfe Persique. À 24 ans, elle ne peut pas mettre les pieds à l'extérieur. Pas même pour amener ses enfants à la clinique.

Le 6 avril dernier, Nathalie Morin a pu parler au téléphone avec sa mère, Johanne Durocher, qui a enregistré la conversation. Elle y raconte que ses deux autres enfants, dont une fillette de 4 mois, font des crises d'asthme à répétition. Qu'ils se nourrissent presque exclusivement de pain, de riz blanc et d'oeufs.

Elle rapporte aussi avoir vu le père des enfants mordre ses deux aînés, qui auraient d'autres traces de sévices physiques sur le corps.

«Je sais que c'est moi-même qui me suis mise dans le pétrin», admet la jeune femme qui a rejoint Saeed en Arabie Saoudite il y a trois ans.

«J'ai fait des gaffes, mais mon fils est innocent. J'aimerais qu'on ne me condamne pas. Qu'on m'aide à revenir dans mon pays pour donner une vie à mes enfants», supplie-t-elle.

Mise en demeure

Nathalie Morin ne reçoit pas d'aide de la part de représentants canadiens à Riyad, accuse Johanne Durocher. Au mieux, selon elle, l'ambassade canadienne néglige ses appels au secours. Et au pire, elle lui nuit.

Johanne Durocher affirme avoir faxé le rapport médical concernant le petit Sameer au ministère des Affaires étrangères. Le lendemain, le père était au courant de cette démarche. Fâché, il s'en serait pris à Nathalie.

Sentant que sa fille est laissée à elle-même, Mme Durocher lance des procédures judiciaires contre le gouvernement du Canada, lui demandant d'aider Nathalie à rentrer chez elle avec les trois enfants. Elle a confié l'affaire à l'avocat Julius Grey, qui a mis le gouvernement en demeure de fournir une assistance à Nathalie Morin. Si Ottawa ne bouge pas, Mme Durocher compte intenter une poursuite en dommages et intérêts.

Mais le ministère canadien des Affaires étrangères affirme qu'il fait tout ce qu'il peut pour aider la jeune femme.

«Nathalie Morin est impliquée dans un conflit familial complexe», explique un porte-parole du ministère, Rodney Moore, ajoutant que le règlement de ce litige repose sur les lois saoudiennes. Or, en vertu de ces lois, une femme mariée doit obtenir l'autorisation de son mari pour pouvoir quitter le pays.

Selon M. Moore, la Commission saoudienne des droits de la personne a rendu visite à Mme Morin et a jugé que «ni elle ni ses enfants ne sont en danger.» Enfin, le Ministère refuse de commenter le rapport médical au sujet du petit Sameer, parce qu'il s'agit d'informations privées.

Indifférence

Il y a des mois que Johanne Durocher se bat pour le retour de sa fille. La passivité de l'ambassade canadienne à Riyad la surprend d'autant plus que Saeed Al-Shahrani se serait montré ouvert à ce que Nathalie Morin et ses trois enfants viennent passer trois mois de vacances au Canada. Or, l'ambassade canadienne aurait laissé passer cette occasion.

«Le gouvernement canadien a manqué à son devoir fondamental d'aider ses citoyens à l'étranger», affirme Julius Grey, selon qui les représentants canadiens à Riyad ont agi «comme des bureaucrates indifférents, et parfois malveillants.»

Récemment, la Cour fédérale a forcé Ottawa à réclamer la clémence pour Ronald Smith, un Canadien condamné à la peine capitale aux États-Unis. Julius Grey estime que la logique de cette décision pourrait s'appliquer à des Canadiens dont les droits fondamentaux sont niés à l'étranger.

Nathalie Morin et sa mère reçoivent l'appui de quelques députés de l'opposition, dont le néo-démocrate Thomas Mulcair. «Nathalie est la prisonnière d'un système de droit qui ne reconnaît pas l'égalité des femmes», dénonce ce dernier. L'inaction du Canada est incompréhensible, s'insurge la bloquiste Francine Lalonde.

Quant à Johanne Durocher, elle dit avoir honte de son gouvernement qui permet que «quatre Canadiens soient en otage, maltraités et torturés.»

Nathalie Morin avait 17 ans quand un ami lui a présenté Saeed Al-Shahrani, qui prétendait étudier à l'Université Concordia. Un mois plus tard, elle était enceinte. Sa tentative de parrainage pour l'immigration ayant échoué, son amoureux a dû rentrer en Arabie Saoudite, où la jeune femme l'a rejoint en 2005.