Patrick Samson a passé 24 jours à Bordeaux en mars. Les 24 jours les plus longs de sa vie. On lui a enlevé ses antidépresseurs d'un coup sec. Il a contracté des champignons en s'appuyant sur des coussins crasseux. Surtout, il a eu peur. Très peur, entre les murs de cette prison provinciale qui, plus que jamais, craque de partout. «Il faut toujours que tu te tiennes en état d'alerte. C'est stressant, ce n'est pas vivable. J'aurais préféré faire mon temps en isolement. Ça aurait été moins de trouble.»

M. Samson, peintre en bâtiment de 36 ans, a écopé d'une peine de prison pour conduite en état d'ébriété. Il se dit «chanceux» d'avoir eu droit à une cellule, qu'il partageait avec un autre détenu dans un coin tranquille.

Bordeaux déborde. À tel point que les hommes qui y purgent une peine «intermittente», les fins de semaine, dorment désormais cordés les uns contre les autres sur de minces matelas installés par terre. Ils sont des dizaines entassés dans une salle de l'aile D, où ils se partagent deux toilettes qui deviennent vite insalubres.

Déjà critique, la situation a encore empiré après l'opération SharQc, qui a mené à l'arrestation de près de 120 Hells Angels à la mi-avril. Les motards ont tous été écroués à Bordeaux, près du Centre de services judiciaires Gouin, où ils doivent être jugés. Les autres détenus ont dû leur céder leur place. Des dizaines d'entre eux ont été transférés ailleurs en province, parfois jusqu'à Baie-Comeau.

Mais on n'a fait que déplacer le problème. Partout au Québec, la population carcérale explose. Et la situation empire au fil des ans, selon des chiffres que La Presse a obtenus. Le nombre de détenus a augmenté de 30 % depuis une décennie. Désormais, ils sont plusieurs centaines en trop à s'entasser dans les 17 prisons de la province, si bien que, en 2008-2009, le taux moyen d'occupation carcérale atteint 116%.

Bombe à retardement

Il s'agit d'une véritable bombe à retardement, selon Bertrand St-Arnaud, critique péquiste en matière de sécurité publique. «La situation est dangereuse et potentiellement explosive», a-t-il dit le 15 mai à l'Assemblée nationale.

Les gardiens sont à bout de souffle. La vente de drogue à l'intérieur des murs est de plus en plus difficile à réprimer, tout comme les actes de violence, pratiquement inévitables dans une telle promiscuité.

«Il a fallu qu'un viaduc s'écroule à Laval avant que le gouvernement décide de rénover nos infrastructures routières, rappelle M. St-Arnaud. Quel drame attend-il pour passer à l'action et adopter des mesures rapides et énergiques pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale?»

Conditions exécrables

Dans un courriel envoyé à Jacques Dupuis, ministre de la Sécurité publique, et adressé en copie conforme à M. St-Arnaud, un homme emprisonné à Bordeaux pour une peine de 14 jours à purger les week-ends décrit des conditions dignes d'un camp de réfugiés.

«Je suis arrivé le samedi matin dans une salle réservée aux personnes qui doivent purger leur peine de fin de semaine. La salle était pleine à craquer, il n'y avait aucune place pour que je puisse m'installer. J'ai dû passer la journée assis sur une table à pique-nique.»

«Le soir venu, pour s'assurer que tout le monde puisse s'étendre sur les matelas qui sont fournis uniquement vers 22h, les personnes ont dû coucher dans le corridor de la salle et même dans l'espace de rangement de ces matelas, poursuit le détenu. Au total, nous étions 102 dans une salle qui peut en contenir, selon moi, 60. Il n'y a pas de douche, il n'y a que deux urinoirs, deux toilettes, deux lavabos.»

Selon Stéphane Lemaire, président national du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels, des hommes dorment à même le sol dans toutes les prisons du Québec, faute de places en cellule. On épargne ce camping forcé aux détenus qui ont des problèmes de santé mentale, mais le classement reste sommaire. «Ceux qui se promènent tout nus et qui parlent à des fantômes, on ne les met pas avec les autres. Mais ça s'arrête là. Un fraudeur et un tueur peuvent se retrouver dans le même secteur. L'espace d'une nuit, cela peut arriver.»

En mai, le ministre Dupuis a souligné que des rénovations à Bordeaux permettront l'ajout de 250 nouvelles places cet été. Il s'est aussi félicité du fait que les criminels purgent désormais leur peine. «Avant, les gens arrivaient à la prison le samedi matin, signaient un livre et étaient remis en liberté, a-t-il rappelé. Les conditions ne sont pas idéales, j'en conviens, et on travaille à les améliorer. Mais il reste que les gens qui sont condamnés pour facultés affaiblies aujourd'hui, sous un gouvernement libéral, purgent leur peine.»