Un téléviseur dans les bras, une liste «à faire» entre les dents, une rengaine du Clan Panneton dans la tête, un double escalier en colimaçon à grimper... Et c'est reparti pour un autre 1er juillet de déménagement. Mercredi soir, des dizaines de milliers de ménages montréalais dormiront dans leur nouveau logement. Si, bien sûr, le fameux camion peut finir par arriver.

«Le premier juillet, c'est comme si un rideau était arraché le temps d'une journée pour pouvoir épier la vie des autres», songe Christopher Dewolve, journaliste et blogueur pour le cybermagazine Spacing Montréal. «Les Montréalais sont toujours un peu voyeurs!»

Durant les sept années qu'il a passées à Montréal, Christopher Dewolve s'estime «chanceux» de ne jamais avoir eu à déménager un 1er juillet. Par contre, il profite à fond du phénomène. «Le party, c'est pas la Fête du Canada, c'est de regarder les gens déménager!»

Un phénomène qui amuse tout le monde, y compris les étrangers (les journaux américains en ont déjà parlé, la BBC britannique en a fait un documentaire). Tout le monde, sauf évidemment ceux qui déménagent... ou qui ont été recrutés pour descendre le frigo du deuxième palier.

Les origines de la grande migration annuelle des locataires québécois ne sont pas certaines, mais plusieurs hypothèses sont évoquées. Notamment celle qui remonte à la Nouvelle-France: au printemps, les censitaires rendaient hommage à leur seigneur. Peut-être en profitaient-ils aussi pour régler leurs comptes et déménager leurs pénates ailleurs, avant les semis?

Le Réseau de diffusion d'archives du Québec (RDAQ) apporte quelques indications. Des observations sur la propension des Canadiens-Français à déménager le 1er mai remontent à 1750. Dans le premier Code civil du Canada, en 1866, «la date du 1er mai était déjà inscrite comme terme des baux», écrit le RDAQ.

Selon François Cartier, conservateur et archiviste au Musée McCord, les Écossais pourraient être derrière l'interdiction d'évincer un locataire durant l'hiver. «Et dans leur tradition, les gens pouvaient contester les baux qui arrivaient à échéance en mai.»

«Mais j'ai déjà lu que l'Église s'était opposée à ce que les propriétaires évincent les locataires n'importe quand», ajoute-t-il.

Le carcan du 1er mai a perduré jusqu'en 1974. Cette année-là, le gouvernement libéral de Robert Bourassa a aboli la durée fixe des baux et laissé locataires et propriétaires s'entendre sur la date d'échéance du bail. De plus, pour corriger l'inconvénient de déménager avant la fin de l'année scolaire, la loi avait prévu de prolonger les baux expirant le 1er mai 1974 jusqu'au 30 juin 1975.

Mais, même s'ils sont libres d'établir ensemble le terme du bail, propriétaires et locataires ont pourtant continué à conclure des baux d'un an, du 1er juillet au 30 juin.

Rester zen

Au fait, rien ne sert d'écrire une mise en demeure en attendant le camion de déménagement: un retard de quelques heures le 1er juillet n'émouvra sans doute pas le juge. Dans un jugement de la Division des petites créances en 2004, le juge Denis Charette écrivait: «C'est une situation fréquente, le 1er juillet, que les camions de déménagement arrivent en retard, parce qu'un client avait plus de meubles que prévu. [...] Dans les circonstances, un retard de trois heures et demie ou de cinq heures ne constitue pas une faute.»

Le plaignant dans cette affaire - un Montréalais qui réclamait 6325$ à la compagnie pour un déménagement qui n'a jamais eu lieu - attendait le camion à 13h. Il a alors commencé à sortir tous ses biens de son ancien appartement pour les empiler sur le trottoir. Et puis, ce qui pouvait arriver de pire le 1er juillet se produisit: la pluie. Une averse courte, mais intense qui a tout détrempé, des chaussettes aux cassettes.

Mais, selon le juge, le plaignant «a couru à sa perte». «Il n'est pas vraisemblable qu'il n'ait pas vu venir la pluie. Lorsqu'il a été conscient qu'elle s'en venait, il aurait dû protéger adéquatement ses meubles. D'ailleurs, de toute façon, si on prend un déménageur, c'est pour déménager. Il aurait dû, comme les autres locataires le font, se réserver une pièce du logement pour mettre ses meubles en attendant l'arrivée du déménageur, et laisser le nouveau locataire occuper le reste de l'espace.»

Les déménageurs sont arrivés entre 16h30 (selon la version du camionneur) et 18h (selon le client). Ce client, vert de rage, les a engueulés. Le ton a monté. Et les déménageurs sont partis, sans faire le déménagement. ---- Là-dessus, le juge a donné tort à la compagnie, qui s'est justifiée en disant que les trois hommes ont «craint pour leur sécurité». Vraiment? «Les déménageurs, qui sont capables de porter des meubles très lourds, ne devraient pas être intimidés par un client de la taille du "plaignant", ou même d'un ou deux voisins, puisque de toute façon le "client" avait intérêt à être déménagé, et non à se battre.» Pour cette raison, le juge a condamné la compagnie à payer 175$ au plaignant, soit le montant du dépôt qu'il avait versé.

De la ruelle au salon

«Je pense que tous les Montréalais, sauf les plus capricieux, ont au moins quelques objets ou meubles qu'ils ont trouvés un jour dans la rue», croit Christopher Dewolve.

Sur un mur de l'appartement que cet étudiant à la maîtrise occupe aujourd'hui, à Hong Kong, deux bandes dessinées de Tarzan encadrées sont accrochées. «Je les avais trouvées dans une ruelle du Mile End après le 1er juillet, raconte-t-il. J'avais une amie qui s'était meublée entièrement avec des choses trouvées après le 1er juillet!»

C'est peut-être aussi ça qui fait le charme de Montréal... «Dieu que je m'ennuie de Montréal!», s'est exclamé un Ontarien à la suite de la publication d'un article de M. Dewolve sur le chaos du 1er juillet. «Il y a comme une désinvolture envers la vie de la rue qu'il n'y aura jamais à Toronto...»