Les résidants du secteur de Montréal-Nord où a éclaté l'émeute l'an dernier ont plié bagage en grand nombre, a constaté La Presse hier sur le terrain. La grand-messe du déménagement battait son plein près de la rue Pascal et du boulevard Rolland - épicentre des affrontements avec les policiers l'été dernier - où les affiches «À louer» tapissent encore pratiquement chaque immeuble.

«Moi, je m'en vais voir les feux d'artifice de La Ronde au lieu de celui de l'émeute de Montréal-Nord!» badine Daniel, qui troque son logement du boulevard Rolland contre un appartement de l'arrondissement d'Anjou.

 

Il y a près d'un an, sa rue et la rue transversale, Pascal, étaient au coeur de l'émeute qui a suivi la mort de Fredy Villanueva sous les balles d'un policier de Montréal.

Daniel, ses voisins Michel, Yves et leurs familles ont décidé de fuir le quartier au lendemain de ces débordements sans précédent.

Et ils ne sont pas les seuls, à en juger par le nombre de camions-cube et de remorques qui abondaient dans le secteur hier matin.

Daniel et ses amis avaient du mal à réprimer de profonds soupirs de soulagement en plaçant leurs biens dans les camions de déménagement garés devant leurs logements situés côte à côte.

Ni la moiteur de cette journée ni la perspective de repartir à zéro dans un nouvel environnement n'auraient pu altérer leur joie de partir, trop contents de voir s'évanouir dans le rétroviseur ce quartier où ils ont pourtant vécu une partie de leur vie.

«Après l'émeute, les affiches «À louer» sont apparues partout. Beaucoup de gens s'en vont. Tu n'es pas chez toi ici, tu n'es plus le bienvenu! Je ne vais même pas au dépanneur à pied dans la rue Pascal, je ne me sens pas en sécurité!» explique Yves, pourtant un solide gaillard.

Un futur Bronx

Coiffé d'une casquette du Québec, Michel sort de sa poche une photographie. On y voit sa voiture garée en bordure du trottoir d'en face, derrière une rangée de voitures de la police de Montréal. Une image croquée en pleine nuit il y a deux semaines, lors du dernier épisode de violence entre les policiers et une bande de jeunes. «Je vis dans le quartier depuis des années, mais là, c'est assez! C'est rempli de jeunes de 15 ans qui veulent prendre le contrôle du coin. D'ici 10 ans, ça va devenir un ghetto!» tonne Michel.

Une prédiction partagée par Caroline Pelletier, résidante de la rue Arthur-Chevrier, à un jet de pierre de là, qui part avec sa famille s'installer dans l'arrondissement de Rivière-des-Prairies, après avoir vécu 30 ans à Montréal-Nord. «J'ai l'impression que les problèmes iront de mal en pis. Les bonnes familles vont s'en aller et le quartier va ressembler au Bronx d'ici 10 ans», déplore Mme Pelletier, qui tient entre ses bras Ylana, âgée de quelques mois.

Lors de la dernière échauffourée entre policiers et jeunes il y a deux semaines, le fracas des matraques sur les boucliers des membres de l'escouade tactique avait réveillé le bébé.

Selon cette mère d'une autre fillette de 6 ans, le milieu n'est tout simplement pas approprié pour élever des enfants. «L'affaire Villanueva a été la goutte qui a fait déborder le vase. À Rivière-des-Prairies, il y a plus de familles unies, moins de mères seules et de meilleurs modèles à offrir aux enfants», résume Mme Pelletier.

C'est aussi pour tourner le dos aux problèmes du quartier que Jacques Claude et sa conjointe, locataires depuis deux ans d'un appartement rue Arthur-Chevrier, changent d'adresse. «Le soir de l'émeute, des jeunes armés couraient dans ma cour», souligne M. Claude, qui déménage dans le quartier Ahuntsic. «Il y a sûrement des problèmes partout, mais c'est pire ici», croit-il.

Coincés à Montréal-Nord

Un peu plus loin, rue Pascal, Carole Pomerleau explique avoir tenté de quitter Montréal-Nord, en vain.

Elle n'a trouvé aucun propriétaire prêt à adapter l'appartement qu'elle partage avec sa fille handicapée et l'enfant de cette dernière. Mme Pomerleau doit donc se résigner à déménager un peu plus bas, rue Pascal. «J'aurais tellement voulu sortir du secteur. Ici, ça me fait peur. Le soir, je n'irai pas me promener dans le coin», explique la dame, qui dit avoir reçu une offre de réduction de loyer de 50$ de son ancienne propriétaire pour conserver son logement.

Mme Pomerleau avait fait les manchettes l'an dernier, puisque sa fille Mélissa, aujourd'hui âgée de 17 ans, avait contracté la bactérie mangeuse de chair après son accouchement. L'adolescente a dû être amputée des deux jambes.

Carole Pomerleau croit que leur nouveau logement est situé dans un secteur plus tranquille de la rue Pascal. Mince consolation pour cette femme qui, perchée sur son balcon, se trouvait aux premières loges pour assister à l'émeute d'août dernier.

Un peu plus loin, Franklin Alternor et un membre de sa famille suent à grosses gouttes, un sofa entre les mains. Contrairement à plusieurs voisins, l'homme - qui habite le quartier depuis huit ans - emménage de son plein gré dans la rue Pascal. «Je n'ai aucun problème avec personne. Je travaille à la maison le jour et je reste à la maison le soir», résume M. Alternor.

À une rue de là, Nicole emménage aussi dans un nouvel appartement. «C'est à cause des prix que je reste ici depuis 11 ans. Si tu fais ton affaire, tu ne te fais pas embêter», explique-t-elle.

Même si plusieurs personnes interrogées ont écorché le quartier, d'autres ne le quitteraient pour rien au monde. «L'émeute a traumatisé tout le monde, mais les gens sont cool, le quartier est cool, les quatre et demi avec services se louent à 500$ et les enfants ne s'ennuient pas», énumère Marie Toussain.