La Commission canadienne de la santé mentale s'apprête à lancer la plus grande recherche jamais menée au monde sur les sans-abri atteints de troubles de santé mentale. Cette recherche d'envergure, qui coûtera 150 millions à l'échelle du Canada et se déploiera sur quatre ans, se concrétisera dès l'automne à Montréal. Les chercheurs offriront pas moins de 300 logements meublés à des sans-abri, afin de déterminer si, épaulés par un suivi social serré, ces derniers réussiront à réintégrer la société.

En octobre prochain, quatre recruteurs embauchés par la Commission canadienne de la santé mentale arpenteront les refuges et les rues de Montréal pour trouver 500 sans-abri qui accepteront de participer à cette ambitieuse recherche de terrain, a appris La Presse. Deux critères: les participants, hommes ou femmes, doivent être sans logis et souffrir de troubles de santé mentale, modérés ou importants.

Les participants à ce projet, baptisé Chez soi, seront divisés en deux groupes: un groupe témoin, qui suivra le parcours normal - généralement chaotique - d'un sans-abri souffrant de troubles mentaux, qui tourne autour du refuge, de l'hôpital et de la prison. Leur seule obligation sera de rencontrer un intervieweur une fois par mois, afin de faire le point sur leur situation. Ils recevront entre 15 et 35$ par rencontre.

Aux 300 personnes qui se retrouveront dans l'autre groupe, expérimental celui-là, on trouvera un logement, où ils pourront vivre pour les quatre prochaines années. Ils recevront une subvention de 200$ par mois. «C'est la première chose qu'on leur offrira: un toit», explique Olivier Farmer, psychiatre au CHUM, qui fait partie de l'équipe clinique. «Et pas n'importe comment, ajoute Sonia Côté, coordonnatrice du projet pour la Commission. C'est la personne qui nous dira quel type de logement elle veut habiter, dans quel quartier.»

Pour trouver ces logements, qui coûteront en moyenne autour de 500$ par mois, on sollicitera les organismes sans but lucratif qui offrent du logement social, mais aussi les propriétaires privés. Ces derniers craindront-ils de louer à une telle clientèle, généralement refusée partout? «Les propriétaires sauront qu'il y a une équipe autour de la personne. S'il y a un problème, on va réagir. On va réparer les pots cassés», dit Mme Côté.

La crème du suivi social

Les sujets du groupe expérimental bénéficieront en effet non seulement d'un toit, mais aussi de la crème du suivi social. Une quinzaine d'intervenants seront embauchés pour former les équipes de suivi. Psychologues, psychoéducateurs, psychiatres, ergothérapeutes. Les services seront dispensés au domicile du bénéficiaire, six jours par semaine, douze heures par jour.

«On pourra aller les voir deux fois par jour s'ils doivent prendre une médication. On va pouvoir les aider dans la gestion de leur logement. On va pouvoir les aider à faire l'épicerie, à trouver un travail, un projet de vie», résume le Dr Farmer. Mais en acceptant le logement, les sujets de l'étude ne sont pas obligés d'avoir recours à cette panoplie de services. «Le logement leur est offert sans conditions. Le traitement n'est pas obligatoire. Ils ne sont pas obligés d'être sobres. Leur seule obligation, c'est de rencontrer quelqu'un une fois par semaine», précise Olivier Farmer.

Marc-André Ménard, lui-même un ancien sans-abri qui a réussi à reprendre le cours d'une vie normale, sera l'un des «recruteurs» de la Commission à Montréal. «Je vais essayer de recruter les pires cas. D'aller chercher les gars sous les ponts, qui n'ont pas pris une douche depuis trois ans», résume-t-il. «On veut essayer d'offrir des services complémentaires à ceux des refuges, pour les personnes qui ne sont pas desservies. Des cas lourds», ajoute Jason Champagne, du CLSC des Faubourgs, chargé de l'aspect clinique du projet.

La même expérience se tiendra dans quatre autres villes canadiennes, soit Vancouver, Winnipeg, Toronto et Moncton. But de la recherche? Déterminer si un tel suivi social, couplé à un logement décent, permet la réhabilitation des sans-abri. «Dans le réseau, face à cette clientèle, tout le monde a seulement un petit bout du problème. Chacun, avec son morceau, n'est pas capable de faire grand-chose. L'occasion, ici, c'est que tout le monde travaille ensemble», souligne le Dr Farmer.

L'autre question de la recherche, fondamentale, est celle du coût. Compte tenu des frais élevés qu'entraînent ces personnes - hospitalisations, refuges, séjours en prison -, est-il possible qu'il soit plus économique de les loger et de leur donner un suivi social? Des études préliminaires, menées en Colombie-Britannique, tendent à démontrer que oui. Les sans-abri coûtent à la province pas moins de 694 millions par an en services, alors qu'une intervention sociale serrée, couplée à une subvention au logement, coûterait 662 millions. À l'échelle de la province, un tel programme permettrait donc d'économiser 32 millions annuellement.