Justice Malala n'en revient pas. «L'homme qui a donné l'asile politique à Brandon Huntley est un ignorant, sa décision est une insulte absolue à tous les Noirs sud-africains», s'indigne-t-il au bout du fil.

Justice Malala est un analyste politique connu en Afrique du Sud. Joint à Johannesburg, hier, il s'est insurgé contre une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), qui a accordé l'asile politique à un Blanc sud-africain sous prétexte qu'il était «persécuté» par ses compatriotes Noirs.

Cette décision a soulevé une tempête diplomatique entre l'Afrique du Sud et le Canada, et le gouvernement sud-africain demande à Ottawa de la faire réviser.

Les ministères de l'Immigration et des Affaires étrangères se refusent à tout commentaire sur le dossier. La Commission elle-même a comme politique de ne jamais commenter les cas particuliers.

Selon les documents fournis aux médias par son avocat, Russell Kaplan, Brandon Huntley soutient avoir subi sept agressions en Afrique du Sud, au cours desquelles il a été qualifié de «colon» et de «chien blanc». Il a choisi de ne pas rapporter ces attaques à la police, parce qu'il ne lui fait pas confiance. Il aurait aussi de la difficulté à trouver du travail, parce qu'il est blanc.

«L'Afrique du Sud a une politique d'action positive discriminatoire en faveur des Noirs», a expliqué hier un collaborateur de Russell Kaplan, Craig Stewart.

Le commissaire William Davis, de la CISR à Ottawa, a jugé que le gouvernement sud-africain n'assure pas la protection de ce citoyen contre la persécution dont il souffre spécifiquement en raison de la couleur de sa peau.

Oui, il y a un problème de criminalité en Afrique du Sud, mais elle est aveugle à la couleur de la peau, assure Justice Malala. «Moi-même, je suis noir, et ça ne m'a pas empêché de me faire tirer dessus, dans ma maison», confie-t-il, ajoutant que ceux qui subissent le plus de violence, ce sont encore les Noirs pauvres qui vivent dans les townships.

Lorsque La Presse l'a joint hier, il venait de quitter son bureau où il est entouré de nombreux collègues blancs. «Tout le monde ici est choqué, c'est une décision affreuse.»

Demande de révision

Les représentants sud-africains à Ottawa n'en pensent pas moins. Brandon Huntley avait accès à de nombreux recours devant la justice sud-africaine, souligne un porte-parole du Haut Commissariat d'Afrique du Sud, Anesh Maistry. «Il ne les a jamais utilisés, il n'a même pas fait appel à la police!»

«Nous comprenons que la décision a été prise par un État souverain, mais nous réclamons que le gouvernement canadien demande une révision judiciaire», a dit Anesh Maistry, hier.

Ottawa peut s'adresser à la Cour fédérale pour lui demander une telle révision. Celle-ci ne portera toutefois pas sur le fond de l'affaire - l'État sud-africain a-t-il véritablement échoué à protéger Brandon Huntley contre une persécution due à la couleur de sa peau? -, mais sur des points de procédure.

En attendant, l'affaire continue à faire des vagues. Le Congrès national africain, au pouvoir en Afrique du Sud, a reproché au Canada de «perpétuer le racisme».

La journaliste Lucie Pagé, récemment rentrée au Québec après un long séjour en Afrique du Sud, a été stupéfaite en lisant les reportages sur Brandon Huntley. «Je suis blanche, je me suis promenée partout en Afrique du Sud, et je n'ai jamais, jamais senti de racisme ou de menaces de la part des Noirs. Cette histoire, ça ne se peut pas», dit-elle.

Au bureau de l'avocat de Brandon Huntley, la colère des Sud-Africains surprend. «Nous avons eu des cas de réfugiés de 63 pays, et pas un seul n'a réagi de la sorte», dit Craig Stewart.