Un rapport de l'Université de Colombie-Britannique dénonce le manque de fondement scientifique de la stratégie conservatrice sur les prisons. L'accent mis sur la punition des détenus mine la réhabilitation des prisonniers, donne aux geôliers des pouvoirs quasi-judiciaires d'imposer des sentences beaucoup plus dures par le biais de l'isolement administratif et fera exploser le coût des prisons fédérales.

«Pour le moment, le gouvernement Harper n'a pas appliqué toutes les mesures qu'ils désirent», explique Michael Jackson de l'Université de Colombie-Britannique, qui dévoile ce matin son rapport dans une conférence de presse à Ottawa. «Il attend que l'économie prenne du mieux, parce que certaines mesures coûteront cher, et d'avoir un gouvernement majoritaire.»Le projet de loi C-43 prévoit de faire des changements philosophiques qui faciliteront ces changements, selon Me Jackson, en plus d'abolir la libération automatique aux deux tiers de la peine. Mais le Service correctionnel du Canada a été incité à tenir compte de plusieurs des recommandations d'un rapport de 2007 sur lequel s'appuie la stratégie conservatrice.

Deux des recommandations les plus controversées interdiraient toute visite aux prisonniers en isolement administratif, qui peuvent actuellement bénéficier de visites sans contact, et réduiraient fortement les visites avec contact pour les autres prisonniers dans le but de lutter contre le trafic de drogue. «Pour ce qui est de la libération automatique aux deux tiers de la peine, son abolition empêcherait de surveiller les prisonniers récalcitrants lors des premières années de leur retour dans la société», dénonce Me Jackson. Le comité ayant pondu le rapport ne comptait aucun professeur de droit et était essentiellement composé d'ex-membres des forces de l'ordre et d'ex-politiciens responsables des prisons et de la justice.

«Le Service correctionnel a déjà appliqué la recommandation d'augmenter les fouilles et la détection automatique de traces de drogues sur les effets personnels des visiteurs, dit Me Jackson. Or, cette détection automatique fonctionne mal. Elle n'est fiable que pour la cocaïne et il y a beaucoup de faux positifs, notamment avec un type de crème corporelle qui a une structure moléculaire proche de la cocaïne. Les visiteurs sont dans un état de peur constante, même s'ils n'ont rien à se reprocher. Il suffit qu'ils s'assoient dans un autobus ou un taxi où il y a des traces de cocaïne pour que le test soit positif.»

Pour ce qui est de l'isolement administratif, le rapport de 2007 faisait fi des nombreuses enquêtes concluant qu'il s'agit d'une «prison dans la prison» qui devrait faire l'objet d'une supervision judiciaire et affirmait qu'elle ne concernait que des prisonniers qui veulent bénéficier du confort d'une cellule individuelle, selon Me Jackson. «Seulement 20% des 7500 personnes qui sont isolées chaque année sont volontaires, et souvent il s'agit de gens qui craignent pour leur vie. Dans 40% des cas, les gens y restent plus de deux mois. Le renouvellement de l'isolement est parfois automatique. Si ces gens-là ne peuvent plus du tout voir leur famille, et donc que les seuls êtres humains qu'ils voient seraient des gardes, je crains pour leur santé mentale.»

Le printemps dernier, Louise Arbour, qui a piloté dans les années 1990 un rapport dénonçant l'isolement administratif à la prison des femmes de Kingston, a publié dans un quotidien du Nouveau-Brunswick un essai dénonçant la pratique. L'intervention de l'ex-juge de la Cour suprême suivait un suicide très médiatisé d'une jeune femme dans qui avait passé six mois en isolement dans une prison fédérale de la province. Mme Arbour citait un récent dossier du magazine américain The New Yorker, qui détaillait les conséquences psychologiques de l'isolement, parfois irréversibles.

«Je sais que certains prisonniers sont parfois difficiles à gérer pour les autorités pénitenciaires», explique Mme Arbour en entrevue avec La Presse. «Mais il faut que les cas d'isolement prolongé soient examinés en tenant compte de l'impact de la pratique. Sans aller jusqu'à une supervision des tribunaux, il pourrait y avoir des comités indépendants.»