«Maman, j'en peux plus, je suis malade, je vais mourir ici.»

La voix nous parvient entrecoupée de sanglots et elle exprime la détresse absolue. Celle qui pleure s'appelle Sabrina Kahambwe. C'est une adolescente de 15 ans qui vit à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo.

Sabrina est séparée de sa mère depuis plus de quatre ans. Au coeur de leur conversation émerge la question qui tue: «Maman, pourquoi tu nous as abandonnés?»

Rivée à l'ordinateur, sa mère, Julie, a le visage couvert de larmes. Elle essaie d'apaiser sa fille. «Tu n'as pas le droit de dire que je t'ai abandonnée», répète-t-elle. Puis, elle dit à sa fille d'imaginer, en rêve, le jour où sa famille viendra la chercher à l'aéroport de Montréal.

C'est en 2005 que Julie Kahambwe a fui la République démocratique du Congo, pays déchiré par la guerre civile. Elle a réussi à emmener avec elle ses deux plus jeunes garçons, Jean-Pierre et Exaucé. Ses trois plus vieux sont restés derrière. Parmi eux, deux garçons, Cédric et Yannick. Et son unique fille, Sabrina.

L'été dernier, Cédric a dû courir pour échapper à des hommes en uniforme qui sont entrés dans la maison où il vit avec son frère et sa soeur. Il s'en est tiré avec un bras dans le plâtre. Pas très rassurant pour ses proches.

Mais c'est surtout Sabrina qui inquiète Julie Kahambwe. L'adolescente est malade. Elle souffre d'asthme. Et peut-être aussi d'autre chose. Le diagnostic n'est pas clair. Et les examens médicaux nécessaires pour l'établir ne sont pas accessibles à Kinshasa.

En attendant, Sabrina a des «crises» durant lesquelles elle perd conscience. Ça peut lui arriver n'importe où. À l'école. Dans la rue. Jeudi, elle est restée inconsciente si longtemps qu'il a fallu la conduire à l'hôpital.

Hier, sa mère ne savait plus comment la rassurer. Elle était à bout d'arguments. Depuis qu'elle a reçu l'asile politique au Canada, Julie Kahambwe se démène pour y faire venir ses trois enfants restés au Congo. Son dossier est complet. Mais à l'immigration canadienne, plus rien ne bouge. C'est le silence.

Julie Kahambwe est arrivée au Canada pleine d'espoir. Elle a trouvé un boulot de préposée aux bénéficiaires. Et, si tout va bien, elle terminera un cours d'infirmière auxiliaire en juin.

Elle envoie la moitié de son salaire à l'amie qui a accepté d'héberger ses trois enfants restés au Congo. Elle n'est pas convaincue que cet argent profite pleinement à ses enfants. «Nous mangeons une fois par jour», s'est plaint son fils Yannick quand La Presse lui a parlé, hier.

Et Sabrina ne reçoit pas toujours ses médicaments.

«Mes enfants vivent une situation impitoyable, ça fait des années qu'on leur dit d'être patients», se lamente Julie. Elle trouve sa situation tellement pénible que parfois, en période d'examens, par exemple, elle préfère ne pas téléphoner à Kinshasa. Entendre sa fille sangloter au bout du fil, ça la bouleverse trop.

Des cas par centaines

Des centaines de réfugiés qui ont trouvé asile au Canada partagent le sort de Julie Kahambwe. Selon les statistiques obtenues par le Conseil canadien pour les réfugiés auprès du ministère de l'Immigration, plus de 6000 demandes de réunification familiale sont en attente de décision. Le quart de ces cas sont traités à l'ambassade canadienne de Nairobi, au Kenya, qui dessert plusieurs pays africains, dont le Congo.

Or, cette ambassade accuse des retards colossaux. Exemple: les autres bureaux de l'immigration canadienne mettent six mois à réunir les familles, surtout quand il s'agit d'enfants laissés à eux-mêmes à l'étranger. À Nairobi, la majorité de ces cas se règlent en deux ans ou plus.

La semaine dernière, La Presse a publié un reportage sur une mère de famille d'origine congolaise qui attend ses six enfants depuis quatre ans. Comme Julie Kahambwe, elle fait face à une machine anonyme et insensible.

Depuis, nous avons été joints par plusieurs Montréalais d'origine congolaise confrontés à la même situation. L'un d'entre eux, Gode Kabeya, vit au Canada depuis huit ans. Il a laissé à Kinshasa un bambin de 5 ans qu'il n'a pas vu grandir.

«Je ne sais plus quoi lui dire. Je suis à bout. Les Fêtes s'en viennent. Les années passent. Et le dossier ne bouge pas.»

Comme d'autres dans sa situation, il s'est rabattu sur son député, Thierry St-Cyr, qui est aussi le critique du Bloc québécois en matière d'immigration.

«Les démarches sont très pénibles avec l'ambassade canadienne à Nairobi, confirme ce dernier. Plusieurs dossiers ont été carrément perdus. Et il y a de nombreux délais injustifiables.»

Mais surtout, juge-t-il, les responsables des dossiers d'immigration à Nairobi semblent n'avoir de comptes à rendre à personne. «Il n'y a aucune imputabilité. Je me demande pourquoi on ne rapatrie pas la gestion de ces demandes à Ottawa.»

Toutes ces familles en attente se posent la même lancinante question: pourquoi? Quand leurs papiers sont en règle, et que leur demande est complète, comment expliquer cette insupportable attente?

«Je sais que c'est un privilège pour moi de vivre au Canada, dit Julie Kahambwe. Mais une fois que le Canada nous a acceptés, pourquoi nous fait-il souffrir?»

La réunification des familles en chiffres

L'ambassade canadienne de Nairobi dessert 18 pays, dont plusieurs sont de grands «producteurs» de réfugiés. Parmi ceux-ci: la République démocratique du Congo, le Burundi, l'Ouganda, le Rwanda et la Somalie.

> En juillet dernier, il y avait 6035 dossiers de réunification familiale en attente dans l'ensemble des bureaux de l'immigration canadienne à l'étranger. De ce nombre, 1477 dossiers étaient traités à Nairobi.