La Régie de l'assurance maladie du Québec a mis au jour la plus grande fraude de son histoire. Grâce à un «subterfuge sophistiqué», près de 1500 personnes originaires du Proche-Orient, surtout du Liban, ont obtenu une carte soleil alors qu'elles ne se sont jamais établies au Québec. La moitié d'entre elles l'ont utilisée pour obtenir des soins qui ont coûté un demi-million de dollars à l'État.

Pendant un an et demi, la RAMQ a mené une enquête auprès de 1685 personnes du Proche-Orient soupçonnées d'avoir simulé leur présence au Québec avec l'aide d'un consultant en immigration de Montréal, Nizar Zakka, de Décision Immigration 2000.M. Zakka a mis en place un subterfuge qui a permis à ses clients d'obtenir «de fausses preuves de résidence et de présence au Québec», selon le rapport d'enquête de la RAMQ, daté du 18 décembre. L'objectif était d'obtenir la citoyenneté canadienne.

M. Zakka demandait à ses clients de faire un premier voyage au Québec d'une durée d'environ trois semaines pour s'inscrire à des programmes gouvernementaux comme celui de la RAMQ. De fausses preuves de résidence étaient fournies.

Les clients de M. Zakka profitaient également de leur séjour pour se procurer des cartes de crédit, s'abonner au téléphone ou créer une entreprise fictive à titre de travailleur autonome. Le but: obtenir des documents pour prouver leur présence au Québec.

Puis, pendant les quatre ou cinq ans qui suivaient, M. Zakka «documentait une vie fictive au Québec» pour ses clients. Il s'occupait de leur courrier et répondait à la correspondance des autorités fédérales et provinciales. Il demandait souvent à ses clients de faire un second voyage pour renouveler leur carte soleil. Il suggérait de détenir plus d'un passeport et d'en réserver un aux déplacements entre le Proche-Orient et le Canada. Les tampons démontraient ainsi une «présence importante» au Canada, ajoute la RAMQ dans son rapport d'enquête.

Difficile à récupérer

Des 1685 personnes visées, 1451 ont obtenu une carte d'assurance maladie sans habiter au Québec, en faisant de «fausses déclarations» et en transmettant de «faux renseignements» à la RAMQ. La moitié de ces personnes - 747 - ont obtenu des soins de santé qui ont coûté 508 768$ au gouvernement. Des femmes enceintes sont venues accoucher dans des hôpitaux québécois, par exemple. La fraude a duré cinq ans.

La RAMQ a du mal à récupérer les sommes. Des fraudeurs ont remboursé quelque 42 000$ jusqu'à maintenant, a indiqué son porte-parole, Marc Lortie.

«On envoie une lettre à la dernière adresse connue. Mais ces personnes se trouvent pour la plupart dans leur pays d'origine. On n'enverra pas des gens de la Régie à l'étranger si ça nous coûte trois fois plus que les sommes à récupérer. Alors on fait ce qu'on peut. Ces gens-là ont des attaches au Québec. Il n'est pas impossible qu'ils reviennent un jour. Et c'est sûr qu'ils vont devoir nous rembourser avant de redevenir admissibles», a-t-il ajouté.

La RAMQ a lancé son enquête après que la GRC lui eut transmis des constats troublants. La Presse avait révélé en janvier 2009 l'existence de ce réseau de fraude et le stratagème de Nizar Zakka. «C'est carrément surréaliste, infernal. On allait jusqu'à inscrire des enfants fictifs aux écoles, dans des camps de vacances, des activités de loisir... Il y avait une série de fausses adresses, une série de boîtes aux lettres où il n'y avait personne et où on allait chercher le courrier. C'était un gestionnaire de la fraude. Tout servait à prouver la résidence de ses clients au Canada», avaient résumé des sources proches de la RAMQ.

Pour prévenir les fraudes, la RAMQ délivre depuis le mois de janvier une nouvelle carte avec code-barres, qui ne contient que le numéro d'assurance maladie. Les cliniques et les hôpitaux équipés d'un lecteur optique pourront vérifier sur-le-champ l'admissibilité d'un patient au régime public. Un service en ligne entrera en fonction bientôt afin de permettre aux établissements de santé de faire ce genre de contrôle.