La taxe sur l'essence que paient les automobilistes du Québec devrait être scindée en deux: une «taxe sur l'asphalte» et une «taxe verte», versées dans deux fonds distincts, et consacrées exclusivement au financement des routes et des transports en commun.

Cette proposition est le fait saillant d'un rapport de recherche produit par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) qui vise à trouver «une structure de tarification optimale et acceptable du public» pour financer l'exploitation des routes, l'entretien et la réalisation des travaux annuels requis sur le réseau routier du Québec.

 

Dans un document qui s'inscrit tout à fait dans le sillage des travaux du rapport Montmarquette sur la tarification des services publics, le chercheur Justin Leroux propose que tous les frais, tarifs et taxes payés par l'ensemble des usagers de la route soient réinvestis dans les infrastructures de transports, à travers des fonds consacrés, pour rendre le financement du réseau plus transparent et équitable.

En contrepartie, le modèle propose aussi que tous les usagers de la route contribuent au financement des routes et des transports en commun en fonction de leur degré d'utilisation du réseau, ou de leur choix de véhicule ou de mode de transport, suivant les principes de l'utilisateur-payeur et du pollueur-payeur.

À plus long terme, le chercheur et professeur adjoint à l'École des hautes études commerciales (HEC) estime que Québec doit aussi envisager un recours au péage urbain pour réduire la congestion routière dans les grands centres.

De plus, sous réserve des résultats d'expériences en cours, notamment aux États-Unis, M. Leroux estime qu'une future «taxe sur l'asphalte» pourrait être personnalisée en fonction de la distance parcourue par chaque automobiliste sur le réseau routier, selon le principe de l'utilisateur-payeur «dans sa forme la plus pure».

En entrevue à La Presse, M. Leroux, économiste spécialisé dans l'étude des mécanismes de tarification, précise que la taxe verte, la taxe sur l'asphalte ou le recours au péage ne s'ajouteraient pas aux taxes et aux tarifs que paient déjà les automobilistes québécois, et qui ont généré près de 2,4 milliards, versés au fonds consolidé de la province, dans la dernière année.

«Nos propositions ne visent pas à produire plus de revenus pour Québec, explique M. Leroux, mais plutôt à modifier la manière de redistribuer les sommes recueillies auprès des automobilistes pour financer les services qu'ils utilisent. La population en général accepte mieux les tarifs et les taxes liés à un service public lorsqu'on sait à quoi cet argent doit servir.»

Vieille revendication

Depuis des années, des associations d'automobilistes (dont le CAA), des entreprises de camionnage, des propriétaires de taxis, d'autobus ou d'autres véhicules commerciaux réclament du gouvernement qu'il investisse sur les routes une somme équivalant à celle que l'ensemble des usagers lui versent en taxes et tarifs de toutes sortes.

En 2009-2010, les usagers avaient peut-être raison de se plaindre. Selon le rapport du CIRANO, les taxes sur les carburants totalisant 15,2 cents par litre au Québec ont rapporté 1,636 milliard au fonds consolidé de la province. Les recettes provenant de l'émission des permis de conduire et de l'immatriculation des véhicules - excluant les primes de l'assurance automobile - se sont élevées à 755 millions. Total: près de 2,4 milliards.

Durant la même période, le ministère des Transports du Québec a investi un total de 1,8 milliard pour l'entretien, le déneigement et le financement d'une partie des coûts de construction ou de réfection des infrastructures routières. Presque 600 millions de moins.

Les investissements colossaux projetés au cours des prochaines années sur les routes de la province auront toutefois pour effet de renverser rapidement cette tendance dès 2011-2012, selon les prévisions du MTQ et du ministère des Finances, citées dans le rapport du CIRANO. Cette année-là, le Québec devrait dépenser 138 millions de plus que ce qu'il percevra auprès des automobilistes.

Le rapport, précise M. Leroux, ne vise surtout pas à déterminer combien de recettes annuelles chacune des cinq sources de revenus définies devront produire pour répondre aux besoins annuels de financement du Ministère.

Selon les estimations du chercheur, la «taxe verte» devrait accaparer un peu plus de la moitié du produit des taxes sur les carburants (8,1 cents sur 15,2) pour compenser l'impact environnemental de la combustion des carburants. Cette taxe servirait au financement de projets «verts», notamment aux transports en commun.

La «taxe sur l'asphalte», consacrée spécialement au financement de routes, serait aussi perçue sur les carburants, mais «modulée selon la consommation et le poids du véhicule, afin d'approximer l'utilisation effective du réseau».

Les sommes recueillies par l'État pour l'émission des permis de conduire devraient être réexaminées pour refléter la valeur réelle du service rendu, selon l'auteur. Les recettes provenant des permis de conduire et de l'immatriculation des véhicules serviraient au financement des coûts annuels d'entretien et de déneigement des routes.

Le recours aux péages, recommande le rapport, devrait quant à lui être limité à des mesures anti-congestion, dans les grands centres urbains.

En fonction du principe «bénéficiaire-payeur», le rapport estime enfin que l'impôt général devrait continuer à financer en partie le réseau routier du Québec en considération des avantages économiques et stratégiques qu'il procure à l'ensemble de la collectivité, et qui ne profitent pas seulement à ses usagers.