Au moment où le coroner enquête sur la mort de Fredy Villanueva, la Commission des droits de la personne lance une consultation sur le profilage racial. Au coeur de la question: la façon dont les policiers traitent les communautés culturelles.

À compter du 26 mai, à Montréal, à Québec et à Sherbrooke, la Commission des droits de la personne entendra tous ceux qui souhaitent donner leur avis sur la question.Pourquoi maintenant? Gaétan Cousineau, président de la Commission, relève que sa volonté de tenir une consultation sur le profilage racial date d'avant la tragédie de Montréal-Nord. Elle est en fait motivée par la lenteur des tribunaux à traiter les causes qui leur sont soumises. Sept plaintes pour profilage racial se trouvent devant les tribunaux, mais aucune n'a encore fait l'objet d'une décision, a dit M. Cousineau, qui ne cache pas son exaspération devant la multiplication des manoeuvres dilatoires (destinées à retarder les jugements).

En vue de ces consultations, la Commission des droits de la personne a préparé un document contenant les témoignages de 150 jeunes de minorités visibles, de leurs parents et de représentants de divers organismes. Les policiers sont particulièrement mis en cause, mais pas seulement eux: les services de protection de la jeunesse, des enseignants et des agents de sécurité sont aussi montrés du doigt.

Emerson Douyon, membre de la Commission des droits de la personne et professeur honoraire de criminologie à l'UQAM, fait observer qu'il n'est pas nécessaire d'être jeune ou habillé en «yo» pour être embêté. Il évoque trois incidents qui l'ont touché personnellement. Une fois où, dans un musée de Montréal, on lui a demandé de montrer son billet bien après l'entrée. À lui, et à aucun Blanc autour de lui. Il y a aussi eu cette fois, il y a plusieurs années, où un agent de sécurité à la basilique Notre-Dame avait fait preuve du même zèle à l'entracte d'un concert de musique classique. Il y a enfin eu cet épisode où, à Mont-Royal, un policier lui a demandé ses papiers sans raison aucune. Tout cela date d'il y a quelques années, mais M. Douyon note que, à entendre les nombreux témoignages similaires d'Haïtiens de sa connaissance, il est clair que ces pratiques sont toujours répandues.

Les policiers et la Commission

Jean-Guy Gagnon, directeur adjoint du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), était présent lors de la conférence de presse d'hier. «Pour nous, le profilage racial est un enjeu fort important, et ce, depuis plusieurs années. Nous allons participer aux audiences de la Commission, nous allons présenter un mémoire. (...) L'objectif majeur du service de police, c'est d'éviter qu'il y ait du profilage racial et on travaille à plusieurs stratégies. En 2009, par exemple, l'ensemble de nos policiers sur le terrain ont reçu une formation d'une journée sur le profilage racial.»

Il peut arriver, admet M. Gagnon, que certains policiers n'aient pas toujours «les comportements attendus, de façon inconsciente je pense, et c'est la raison pour laquelle le SPVM investit beaucoup de ressources (dans la prévention du profilage racial)».

La conférence de presse d'hier a eu lieu alors qu'un bras de fer oppose les policiers et la Commission des droits de la personne.

Au mois de décembre, la Ville de Montréal - employeur des policiers - s'est adressée à la Cour supérieure pour amener la Commission «à revenir à des pratiques plus professionnelles» et «plus respectueuses des droits de la personne». Elle lui reproche de ne plus respecter, depuis l'automne, le droit des policiers de garder le silence devant elle tant que leur dossier devant le commissaire à la déontologie n'est pas fermé.

Hier, le directeur adjoint du Service de police de la Ville de Montréal a dit que, en dépit des débats juridiques en cours, un dialogue a été établi sur la question avec la Commission.

Depuis 2005, la Commission des droits de la personne a mené une centaine d'enquêtes sur des affaires de profilage racial, la plupart concernant des policiers du SPVM.

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EN CHIFFRES

6,1%

Taux de chômage des Montréalais ayant un diplôme d'études secondaires

14,2%

Taux de chômage des Montréalais appartenant à une minorité visible ayant un diplôme d'études secondaires

Taux de chômage chez les diplômés d'études secondaires par groupe

Arabes 20,1 %

Noirs 14,8 %

Chinois 11,7 %

Sud-Asiatiques 16,6 %

Philippins 4,8 %

Latinos 14,7 %

Gens de l'Asie du Sud-Est 9 %

Gens de l'Asie occidentale 12,5 %

Japonais 11,1 %

Minorités visibles multiples 16,4 %

Statistique Canada, recensement 2006

QUELQUES EXTRAITS DE LA CONSULTATION

«Je conduisais ma voiture Lexus. Il (le policier) est sorti de sa voiture, m'a plaqué sur le capot puis m'a passé brutalement les menottes. Il m'a dit que j'étais en état d'arrestation. Dès qu'ils m'ont relâché, je me suis rendu au poste de quartier. J'ai dit au policier responsable que je venais porter plainte pour arrestation abusive et profilage racial. () Il a refusé de me donner les formulaires en me renvoyant à internet. (...) Je suis sorti frustré du poste de police, où on a refusé d'enregistrer ma plainte.»

En 2007, ma mère a chicané ma petite soeur, qui avait 9 ans, à cause de ses mauvaise notes à l'école. Je tiens à préciser que ma soeur n'a pas été battue. Ma soeur est allée à l'école et l'enseignant l'a questionnée. L'enseignant a contacté la DPJ et a dit à ma soeur de ne rien dire à ma mère. Les agents de la DPJ (...) ont posé beaucoup de questions et ont décidé de faire un suivi pendant trois semaines. Ma mère a été très contrariée d'être jugée de la sorte alors qu'elle avait agi pour le bien de ma soeur. (...)

J'étais en train de faire mes courses à l'épicerie à Outremont (en 2009) quand un monsieur s'est mis devant moi en disant: «Vous n'avez pas à être là.» (...) C'était un agent de sécurité. (...) J'ai laissé mon panier, je suis sortie, prise de panique. (...) Quelques jours plus tard, le patron de l'agence de sécurité nous appelle. Il nous explique qu'une employée de l'épicerie m'aurait désignée et confondue avec une personne qui ne doit pas venir au magasin.

Mon fils de 15 ans jouait au hockey avec ses amis dans une ruelle d'Outremont, près de la maison, comme ils en ont l'habitude. (...) Pendant leur match, une voiture de police est passée et a fait signe à mon fils de s'approcher. Les policiers lui ont posé plusieurs questions comme son nom, le nom de son école, le nom de ses parents. (...) Étrangement, mon fils était le seul «visible» du groupe d'amis et c'est lui qu'on a questionné sans raison.