Ça devait être un fromage au lait cru et biologique, affiné six semaines; c'est devenu une histoire politique. Le brie du Monopole ne verra jamais le jour. Le président de la Fédération des producteurs de lait du Québec a personnellement fait pression sur l'artisan qui devait lancer ce fromage au goût de controverse.

Le jeu de mots est immanquable: le brie du Monopole fait clairement référence à l'unique syndicat agricole du Québec, l'Union des producteurs agricoles (UPA).

C'est l'Union paysanne, qui conteste ce monopole, qui a lancé le projet de ce fromage. L'idée était d'attaquer la question sous un autre angle, avec une pointe d'humour, explique son président, Benoit Girouard.

Apparemment, les représentants de l'UPA n'ont pas trouvé l'affaire si comique. Lorsqu'il a su qu'un fromage à saveur politique devait être lancé, Marcel Groleau, président de la Fédération des producteurs de lait, s'est rendu à la ferme de son créateur, Jean Morin, un producteur laitier avec qui il entretenait des relations cordiales.

Une petite visite de courtoisie à un moment très opportun. «Je suis allé le visiter et j'ai essayé de comprendre ses motivations, explique Marcel Groleau. Je lui ai dit qu'il était le seul à prendre des risques dans cette histoire.»

Des risques?

La Fédération des producteurs de lait fait la promotion des fromages d'ici, a expliqué son président. Il ne serait pas question de promouvoir ce fromage, qui va contre les valeurs de la Fédération, dit-il.

C'est tout?

«Nous savons depuis longtemps que la fromagerie du Presbytère est membre de l'Union paysanne, ça ne nous a jamais empêchés de faire la promotion de ses fromages», plaide Marcel Groleau. Mais le brie du Monopole va trop loin, estime celui qui a lui-même été candidat à la présidence de l'UPA, en décembre dernier.

Pas une première

La fromagerie du Presbytère est une petite entreprise de Sainte-Élisabeth-de-Warwick. Le brie du Monopole n'aurait pas été son premier fromage politique. Peu après la fameuse éclosion de listériose, le Presbytère avait lancé un fromage à pâte molle en l'honneur du ministre de l'Agriculture de l'époque. La distribution de ce fromage ayant été plutôt confidentielle, l'histoire avait fait peu de bruit.

Cette fois, le lancement avorté du brie du Monopole a pris des dimensions insoupçonnées.

Après lui avoir rendu visite à la ferme, Marcel Groleau a rappelé le fromager pour discuter de nouveau du lancement du fromage.

Jean Morin confirme que le ton n'était pas menaçant, mais il était assez «ferme». «Notre fromagerie est jeune, ça commençait à m'inquiéter», dit-il.

Il a finalement décidé de laisser tomber le nom de son brie, au grand désespoir de l'Union paysanne, qui lançait ainsi une campagne de promotion adressée directement aux consommateurs. Autrement, les histoires syndicales en agriculture intéressent peu le grand public, rappelle Benoit Girouard.

«Au Québec, on préfère de beaucoup parler de l'accord mets et vins plutôt que des conditions de travail de celui qui a produit la bouteille», dit-il.

Une intervention qui fait du bruit

Toutes les personnes impliquées dans cette affaire s'entendent au moins sur un point: l'intervention de la Fédération des producteurs de lait aura finalement fait plus de bruit que le lancement du fromage lui-même.

La fromagerie du Presbytère a raflé les grands honneurs lors du dernier concours Caseus: son bleu d'Élisabeth a remporté la médaille d'or de ces olympiques du fromage québécois.

Le brie du Monopole aurait-il eu droit aux mêmes honneurs?

On le saura peut-être un jour. Car le fromage existe vraiment et les meules devraient être prêtes dans deux semaines. Jean Morin est à la recherche d'un nouveau nom pour son brie...