Membre du conseil d'administration de la Société des alcools depuis six ans, Pietro Perrino a des intérêts importants dans la firme de sécurité BCIA. L'entreprise, sur la sellette depuis quelques jours, a obtenu pour 660 000$ de contrats de la SAQ entre 2006 et 2008.

Les contrats avaient été alloués avant que le fonds d'investissement de M. Perrino - par l'entremise de deux fonds d'intervention économique régionaux (FIER) - n'injecte de l'argent dans la société controversée, dirigée par Luigi Coretti. Les contrats de moins de 1 million n'ont pas à être approuvés par le conseil d'administration de la SAQ, précise Isabelle Merizzi, porte-parole de la société d'État.

Mais à la fin de 2007, juste après avoir investi dans la firme, M. Perrino avait été informé d'un litige sérieux entre la SAQ et le bouillant patron de BCIA. M. Coretti s'était emporté lors d'une réunion avec des dirigeants de la SAQ parce qu'il jugeait insuffisants les tarifs accordés par la société d'État.

Alors tout nouvel investisseur, M. Perrino, membre du conseil de la SAQ, avait pris note de ces doléances lors d'une rencontre au 355, rue Louvain Ouest, où BCIA venait d'emménager.

Un témoin de cette rencontre raconte que Perrino s'était informé du litige entre BCIA et la SAQ en présence du patron, Coretti, qui se disputait souvent avec des clients. Il a indiqué qu'il «verrait ce qu'il pouvait faire», mais les tarifs versés par la SAQ à BCIA n'ont pas été haussés. Quelques semaines plus tard, Coretti, sanguin, était même allé, en représailles, jusqu'à faire retirer ses agents des succursales de la SAQ pendant quelques heures, au début de 2008.

M. Perrino, que Jean Charest a nommé au conseil de la SAQ en 2004, est bien connu des libéraux. Issu de la commission jeunesse du PLQ, il était l'homme de confiance de Daniel Johnson au début des années 90 et était devenu par la suite l'un des principaux lieutenants de Paul Martin au Québec. Il s'était retrouvé au centre de la controverse des FIER alimentée par le PQ l'an dernier. «François Legault m'a beurré, des déclarations qu'il ne pouvait pas répéter hors de l'Assemblée nationale (sans l'immunité parlementaire)», se souvient M. Perrino, ulcéré. Il estime que les médias ont pris en grippe la communauté italienne de Montréal: «Si je m'appelais Pierre Perrin, on ne parlerait pas de moi», lance-t-il.

Savait, savait pas?

Mais, joint trois fois par La Presse, M. Perrino avait commencé par soutenir que, à sa connaissance, BCIA n'avait jamais eu de mandat de la Société des alcools. «Ma position serait plus problématique si BCIA faisait affaire avec la SAQ», avait-il affirmé d'entrée de jeu.

Quand on lui a demandé si BCIA avait déjà eu un contrat de la SAQ dans le passé. M. Perrino a répondu sans hésiter: «Je ne penserais pas.» Il a ajouté rapidement: «À ma connaissance, elle ne fait pas affaire avec la SAQ.»

Enfin, informé des données fournies par la SAQ, il a précisé que BCIA n'avait pas «présentement» de contrat de la société d'État. «S'ils ont eu des contrats avant que j'investisse dans BCIA, c'est une autre question», a-t-il reconnu en fin de journée hier.

Quand on lui rappelle la rencontre de la rue Louvain, il ne nie pas: «Ils (les gens de BCIA) me parlent de tous leurs problèmes, ils se plaignaient que l'argent ne rentrait pas assez vite.»

M. Perrino a précisé: «J'étais au courant du fait que BCIA avait des contrats avec la SAQ avant que j'y investisse. Elle a aussi des contrats avec la police de Montréal, avec l'AMT, avec la Société de l'assurance automobile. Avant que je sois chez BCIA, je savais qu'il y avait des contrats à la SAQ.»

Il insiste toutefois pour dire qu'il n'est jamais intervenu au conseil d'administration de la société d'État sur les questions de contrats de sécurité. «J'ai demandé à ne même pas recevoir les documents, les grilles d'analyse (des soumissions)», explique-t-il. Dans les procès-verbaux du conseil de la SAQ, la déclaration d'intérêt de M. Perrino apparaît en juin 2009 - il s'agissait alors d'une «dérogation», qui devait obligatoirement être vue par le conseil.

Comme commanditaires privés de deux FIER qui ont injecté 2 millions dans BCIA, M. Perrino et un associé ont «investi là-dedans en décembre 2007».

M. Perrino allait fréquemment aux bureaux de BCIA. Une fois par mois, selon un ancien employé; «trois ou quatre fois l'an», soutient M. Perrino, admettant qu'il s'informait des progrès de la firme chaque mois.

«Si je vais là, c'est que les FIER ont investi là-dedans. On cherche à savoir ce qui se passe sur une base régulière, à connaître le chiffre d'affaires, où en sont les dépenses. On le suit comme on suit n'importe quel de nos investissements.»

BCIA a obtenu de la SAQ un premier mandat de 50 000$ en 2006, renouvelé pour un an en 2007. Par la suite, en mai 2007, BCIA a obtenu son principal contrat, 560 000$, pour la surveillance et le vol à l'étalage dans les succursales. Dès la fin du contrat de BCIA, en mai 2008, la SAQ a lancé un nouvel appel d'offres, remporté cette fois par Garda, a expliqué Mme Merizzi.

BCIA est proche de la faillite, une bien mauvaise nouvelle pour les deux FIER qui y ont investi 2 millions de dollars. «Si les FIER perdent de l'argent, moi, je perds beaucoup d'argent. Investissement Québec est aux deux tiers, c'est moi qui suis dans l'autre tiers.» Dans chaque FIER, il y a 5 millions d'argent privé. «Dans ces deux fonds, les plus importants investisseurs privés, c'est moi et mon associé», dit M. Perrino.