Été 2002. Marie Grégoire, fraîchement élue députée de l'Action démocratique, se promène dans le Vieux-Québec avec son conjoint et son fils. Elle voit soudain trois femmes d'une cinquantaine d'années courir en sa direction. Elle serrent la nouvelle députée dans leurs bras avec force effusions. Les trois femmes sont fébriles, enthousiastes. «On est avec vous! Vous allez réaliser de grandes choses!»

Au cours de ces folles semaines qui ont suivi son élection, Marie Grégoire a eu l'impression d'être une vedette de rock. Et elle a aussi eu un peu peur. «C'était une frénésie. C'était magique, mais épeurant. C'était lourd à porter, comme responsabilité. Ça donnait le vertige.»

 

En 2002, l'ADQ était vue par une partie de la population comme le parti du renouveau, de l'espoir, dont les jeunes députés allaient changer la façon de faire de la politique.

Un an plus tard, Bernard Landry, alors premier ministre, déclenche des élections générales. Marie Grégoire se souvient très bien de cette journée où elle a fait le tour des bureaux de vote de sa circonscription. «Tout le monde regardait à terre. Personne ne me disait bonjour.»

En 12 mois à peine, les «purs» de l'ADQ avaient perdu leur auréole.

«Ça m'a fait mal. Nous, on n'avait pas perdu notre flamme. Non, notre tracé n'était pas parfait. Mais est-ce qu'il méritait une descente aussi à pic? se questionne Marie Grégoire. Les gens en demandent beaucoup. Nos élus ne sont pas des superhéros.»

Mais comment l'ADQ en était-elle arrivée à incarner un tel espoir? «Le parti avait été formé par des jeunes qui avaient quitté les libéraux. C'était un geste de courage. Ça a tout de suite donné une couleur à l'ADQ, dit l'ex-députée. Et on était une nouvelle génération. Pour la population, c'était rafraîchissant.»

De la droite à la gauche

A l'autre bout du spectre idéologique, Québec solidaire incarne actuellement cet espoir de renouveau pour une catégorie d'électeurs. Un incident a cristallisé l'aura d'intégrité autour du parti de gauche: l'algarade entre le député Amir Khadir et l'ex-grand patron de la Caisse de dépôt, Henri-Paul Rousseau.

«Comme souvent, l'arrogance et le mépris cachent une certaine lâcheté. Vous avez préféré démissionner au milieu de la tourmente, vous cacher», a déclaré Khadir en commission parlementaire, exprimant en quelques phrases bien senties le courroux populaire à l'endroit de Rousseau.

Deux semaines après cette prise de bec, le député Khadir était de passage à Va-d'Or. «J'ai entendu un gros grincement de pneus. Un gars avait freiné brusquement sa voiture, il reculait. Il est descendu de sa voiture pour venir me féliciter: vous avez dit exactement ce qu'on pense.»

«Amir a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, y compris des gens de droite avec qui nous n'avons rien en commun», acquiesce la chef de QS, Françoise David.

Lorsqu'elle a quitté les groupes populaires pour fonder un parti politique, Françoise David a senti le regard des gens changer. «J'ai senti de la suspicion de la part de plusieurs personnes. Les gens se demandaient si j'allais faire comme les autres.» Cinq ans après la fondation de Québec solidaire, «je ne peux pas mettre les pieds quelque part sans que quelqu'un me dise: heureusement que vous êtes là!», dit-elle.

Au Québec, les mécontents se chiffrent par milliers, observe-t-elle. «Si on additionne les intentions de vote pour les tier partis, quels qu'ils soient, en en arrive à quasiment 30% des électeurs, dit-elle. Les gens ont soif de quelque chose de nouveau, d'intègre.»

La pureté résiste-t-elle au pouvoir?

La même soif d'intégrité a fait grimper les votes en faveur de Projet Montréal durant la dernière campagne municipale montréalaise. «Avant de fonder Projet Montréal, j'avais les mêmes opinions que tout le monde sur la politique. Avec un petit groupe de personnes, on s'est dit: et si on allait au-delà du cynisme? De quoi aurait l'air le parti politique idéal?» raconte Richard Bergeron, le chef de PM.

Le «parti politique idéal» a eu droit à sa large part de sarcasmes. «Les gens nous disaient: c'est tellement naïf. C'est pas comme ça qu'on fait de la politique! C'est un hurluberlu! Or, on a fait ça il y a six ans à peine et aujourd'hui, on a 14 élus!»

Mais dès les lendemains des dernières élections, Projet Montréal a été confronté à une dure question: la pureté peut-elle résister à l'exercice du pouvoir? Gérald Tremblay propose en effet à Richard Bergeron de se joindre au comité exécutif. «Si notre seul but, ça avait été de prendre le pouvoir un jour, on aurait refusé. Notre but, c'est de faire des changements. Et dès maintenant, on peut avoir une influence», dit Alexander Norris, élu conseiller dans l'arrondissement Plateau-Mont-Royal.

«On fait de la politique avec les gens. Si on ne tient pas compte de ce qu'ils pensent, on court vers un mur de ciment et on va tout perdre. Il faut parfois accepter de faire les choses plus graduellement», dit Richard Bergeron.

Certains politiciens ont réussi à garder leur aura même en gouvernant. René Lévesque, feu Andrée Boucher, mairesse de Québec, élue sans poser une seule affiche électorale. Barack Obama aux États-Unis. Richard Bergeron évoque Bertrand Delanoë et Ken Livingstone, respectivement maires de Paris et de Londres, qui ont tous deux été réélus pour des mandats consécutifs.

Cependant, en général, la pureté politique résiste mal à l'usure du temps. Après la grande déception de 2003, l'ADQ a traversé le désert pendant quatre ans. Puis, en 2007, nouvel engouement: le parti de Mario Dumont récolte 31% des voix. Avec 41 sièges, l'ADQ devient l'opposition officielle.

Mais après avoir vécu l'euphorie de 2002, Mario Dumont avait appris à se méfier... de l'espoir.

«Au lendemain des élections de 2007, tout le monde disait: c'est le prochain premier ministre. Moi, je me disais: ma carrière politique est finie. Je me suis vu comme condamné ce jour-là. Les espoirs étaient dans le plancher, on allait être le seul parti surveillé par les médias. On ne pouvait faire autrement que de décevoir. C'était écrit dans le ciel.»