La haute clôture d'acier longe la rivière et traverse le champ où les chevaux de Pam Carnochan devraient être en train de paître. «Il a fallu qu'on les déplace», dit l'artiste, propriétaire d'un gîte rural tout près du Deerhurst Resort, où se tiendra le sommet du G8 dans un peu plus d'un mois.

Son histoire a fait la une de l'hebdo local à Huntsville, où vivent environ 18 000 personnes - un chiffre qui peut facilement tripler pendant la période estivale. La région de Muskoka, c'est un peu les Laurentides de Toronto.

Pour éviter les bouchons de circulation, la mère de deux enfants prévoit déménager la famille pendant les deux semaines entourant le sommet, quitte à fermer le gîte. Et déjà, elle a remarqué une baisse de sa clientèle, généralement plus importante durant cette période.

Malgré tout, elle refuse de se plaindre. «Nous ne sommes pas frustrés. C'est la vie, lance-t-elle. Ils ont été très respectueux avec nous... Disons que ce sera un été différent pour moi cette année.»

Une telle attitude aurait de quoi ravir le gouvernement fédéral. Depuis un an, policiers, organisateurs et politiciens ne ménagent pas les efforts pour limiter les inconvénients qu'aura ce sommet pour la population locale.

Par exemple, Pam Carnochan sera dédommagée. Des agents de la GRC et des militaires multiplient les démarches pour se rapprocher de la communauté - le groupe intégré chargé de la sécurité vient même d'ouvrir un local pour répondre aux questions de la population, au centre-ville.

Depuis un an, plusieurs dizaines de millions de dollars ont été versés dans la région pour l'amélioration des infrastructures. C'est ainsi que Huntsville peut se vanter d'avoir un nouveau campus satellite de l'Université de Waterloo, une nouvelle patinoire, une piscine et un centre communautaire rénovés...

«Pour Huntsville, les retombées de ce G8 sont la grande victoire», estime le maire, Claude Doughty.

Tous ne partagent pas son opinion. Pour payer les 8 millions de dollars que représentent sa part des dépenses liées au G8, la ville a dû doubler sa dette. Et puis cette pluie de millions qui s'abat soudainement dans la circonscription du ministre Tony Clement en fait sourciller plusieurs dans la région.

«Nous voyons qu'il se dépense beaucoup d'argent et nous nous demandons: en fin de compte, quel est le bénéfice pour la ville? On construit beaucoup d'infrastructures, mais nous sommes aussi préoccupés par ce que cela entraînera, par la responsabilité d'entretenir ces immeubles», explique Mark Sinnage, du magasin Algonquin Outfitters, dans la rue principale de Huntsville.

«Et la patinoire est une patinoire olympique! renchérit M. Sinnage. Plusieurs se demandent comment ils vont jouer là-dessus!»

Appréhensions

Tamara de la Vega, rédactrice en chef de l'hebdomadaire local, le Forester, résume ainsi l'opinion générale: «Les gens sont divisés en deux camps. Certains sont préoccupés parce qu'ils ont peur de l'inconnu. D'autres sont très contents de ce que le G8 amène, comme les infrastructures... Quelles seront les retombées pour la communauté? Ça reste à voir.»

À un peu plus d'un mois des 25 et 26 juin, les signes qu'un sommet du G8 hautement sécurisé se tiendra ici, presque au milieu des bois, sont encore rares. Il faut chercher pour découvrir, dans une sablière à l'écart du centre-ville, des centaines de maisons mobiles qui s'étendent à perte de vue. Selon la rumeur, on les aurait fait venir de très loin afin de loger les milliers d'agents de sécurité durant leur court séjour.

Il faut aussi être attentif pour apercevoir, au bord de la route 60, la clôture de métal qui commence près du fossé et qui s'enfonce entre les arbres jusqu'au Deerhurst Resort, en passant par le Morgan House Bed and Breakfast.

Pour certains, c'est déjà trop. «Mon opinion en tant que contribuable, c'est que le Canada devrait avoir un lieu prédéterminé déjà prêt à recevoir de tels sommets au point de vue de la sécurité et des infrastructures», croit Mark Sinnage, qui note au passage la possibilité que certains commerçants locaux tirent quand même quelques dollars du sommet.

«L'amener dans une communauté éloignée comme ici, c'est très bien, ça nous met sur la carte peut-être pour quelques années après coup. Mais l'ampleur des ressources investies dans ce qui va finalement durer une journée et demie... Ça n'a tout simplement pas de sens à mes yeux.»