Q Est-ce que la tragédie routière de la semaine dernière va avoir un impact sur le comportement des automobilistes et des cyclistes?

R Brigitte Roussy: Ça crée une onde de choc pour tous les usagers de la route. C'est un début de saison de vélo qui nous rappelle qu'on a un gros travail de sensibilisation à faire.

Suzanne Lareau: C'est sûr que ça va avoir des effets. On le voit déjà sur la route. Plusieurs cyclistes ont remarqué que les automobilistes les dépassent avec plus de prudence qu'avant. Est-ce que ça va durer? Je ne sais pas.

 

Q Les Québécois ont la réputation d'être délinquants sur la route. C'est vrai pour les piétons, les cyclistes et les automobilistes. Est-ce qu'une partie du problème vient de là?

R B.R.: Si on veut changer les choses, il faut considérer qu'on est tous des usagers de la route. Pour nous, chaque usager a ses devoirs et ses responsabilités. Cela dit, dans 8 cas sur 10, le comportement humain est effectivement en cause dans un accident.

S.L.: En ce moment, la situation à Montréal est assez chaotique. J'inclus tous les usagers de la route. Et c'est en partie à cause de la surveillance policière, qui s'est relâchée. Le nombre de contraventions a chuté. Tous les jours, je vois des automobilistes qui brûlent des feux rouges. Et une voiture qui brûle un feu rouge, c'est pas mal plus dangereux qu'un vélo ou un piéton qui brûle un feu rouge.

Q Mais un certain nombre de cyclistes sont aussi très délinquants. Ils donnent l'impression qu'ils ne sont pas assujettis au Code de la route!

R S.L.: C'est vrai. Comme cycliste, ça m'enrage de voir d'autres cyclistes qui ont des comportements dangereux, parce que ça met ma vie en danger.

B.R.: La répression policière, c'est un maillon très important pour la sensibilisation. Si on n'a pas l'impression qu'on peut se faire prendre, nos comportements vont changer plus lentement.

Q À Montréal, est-ce qu'on a atteint un point critique dans la cohabitation auto-vélo?

R S.L.: En 20 ans, le nombre d'automobilistes a doublé dans la grande région métropolitaine. Le nombre de cyclistes a beaucoup augmenté. Il faut faire des campagnes d'éducation et de civisme. La Société de l'assurance automobile ne met plus d'argent dans les campagnes destinées aux cyclistes parce qu'ils représentent un très faible pourcentage de gens à indemniser. L'an dernier, 16 cyclistes ont perdu la vie comparativement à 500 automobilistes.

B.R.: Il ne faut pas non plus décourager les gens. Je ne suis pas d'accord pour dire qu'à Montréal la situation est chaotique. Il y a beaucoup de gens très prudents. Ce sont les plus délinquants qui ressortent, tant les cyclistes que les automobilistes.

S.L.: Je ne suis pas d'accord. Tous les jours, à toutes les grandes intersections que je traverse, je vois des gens brûler un feu rouge. J'appelle ça un comportement généralisé.

Q Est-ce que certaines routes devraient être interdites aux cyclistes?

R S.L.: Les autoroutes sont interdites aux cyclistes. Je ne vois pas pourquoi on interdirait d'autres routes. Interdire les routes nationales, ce serait aberrant. Il y a des gens qui habitent le long de ces routes! On serait en train de leur dire: vous ne pouvez pas sortir de chez vous en vélo. Ça n'a aucun sens. Il faut plutôt se demander comment on peut faire pour que ces routes soient mieux partagées. Avec des accotements asphaltés, en demandant aux gens de laisser un dégagement quand ils dépassent un vélo... Cela dit, comme cycliste, je n'aime pas rouler sur les nationales. Mais parfois, je n'ai pas le choix.

B.R.: Certains automobilistes ont peur de faire cette manoeuvre de dépassement d'un cycliste. Ce n'est pas nécessairement par mauvaise foi qu'un automobiliste dépasse de trop près un cycliste. Mais interdire certaines routes? Ça m'apparaît inapplicable.

Q En Ontario, un projet de loi récent obligerait les automobiliste à dégager un espace de 1 m lorsqu'ils dépassent un vélo. Pourrait-on appliquer cette idée au Québec?

R B.R.: Ce qu'il faut, c'est se mettre dans la peau de l'autre usager. On n'a pas vu de grande campagne sur le partage de la route de la part des autorités québécoises depuis très longtemps. Ce serait peut-être le temps.

S.L.: Dans notre Code de la route, c'est déjà écrit que l'automobiliste doit laisser un espace suffisant au cycliste en le dépassant. Si on ajoutait un tel article, ça viendrait mettre un chiffre précis sur cet espace suffisant. C'est quoi, un espace suffisant? Ceux qui ne conduisent pas de vélo ne le savent pas nécessairement.

Q Pour certains automobilistes, la place des vélos, c'est sur les pistes cyclables, pas ailleurs. Est-ce que ces pistes ont créé un effet boomerang en ghettoïsant les vélos?

R S.L.: Les pistes cyclables ont démocratisé le vélo. Mais on ne peut pas demander aux cyclistes de se confiner aux pistes cyclables. Les vélos ont le droit d'être sur la route. Et à certains endroits, les pistes sont tellement mal faites que les cyclistes ne veulent pas les emprunter.

B.R.: Bien sûr, les vélos ont le droit de rouler partout. Mais s'il y a un moyen d'être plus en sécurité, c'est peut-être intéressant de faire ce choix. On est aussi responsable de ne pas mettre sa vie en danger.

Q Les cyclistes qui font de l'entraînement - et donc qui roulent très vite - se sont multipliés dans les dernières années. Est-ce que cela pose un nouveau défi?

R S.L.: Ça dépend où ils s'entraînent. Sur de petites routes de campagne, c'est l'endroit idéal. En ville, ça pose un problème. Un cycliste qui roule à 30 km/h en ville, je trouve ça complètement inadapté.

B.R.: La vitesse pose problème. On a réglementé à 40 km/h dans certains quartiers de Montréal. Mais s'il n'y a jamais personne pour faire respecter les limites de vitesse...