«This is my rifle, this is my gun/This is for fighting, this is for fun», chantent en choeur les recrues de l'armée, une main sur leur fusil, l'autre sur leur entrejambe. La scène du film Full Metal Jacket de Stanley Kubrick illustre une division limpide dans la culture de l'armée: Éros et Thanatos doivent rester chacun de leur côté.

L'histoire du brigadier général Daniel Ménard, ex-commandant des Forces canadiennes en Afghanistan, l'a rappelé cette semaine.

On soupçonne le père de famille d'avoir entretenu une relation extraconjugale avec une militaire sous son commandement. On l'a relevé de ses fonctions et ramené au Canada. Il pourrait se retrouver en cour martiale, encore une fois.

 

Le mois dernier, l'officier avait été condamné à une amende de 3500$ pour négligence (il avait déchargé accidentellement son fusil d'assaut à deux reprises à la base de Kandahar).

«Que ce soit un adultère ne change rien. Ç'aurait été la même chose avec sa femme», explique Rémi Landry, lieutenant-colonel à la retraite.

Relations interdites

Les relations sexuelles sont interdites aux militaires en fonction, tout comme les gestes d'affection. «Par exemple, un couple de soldats peut prendre un café ensemble au Tim Hortons de la base de Kandahar. Mais ils ne pourraient pas se tenir la main», indique Terry Liston, général à la retraite.

De tels gestes sont même interdits en privé. C'est ce que stipulent les «directives sur les relations personnelles et la fraternisation». Malgré nos nombreux appels, hier, aucun porte-parole des Forces canadiennes n'était en mesure de répondre à nos questions.

Quant aux quatre anciens militaires que nous avons consultés, ils estiment tous que le règlement est justifié. «La discipline, c'est le ciment de l'armée. Et de telles relations mettent en péril la discipline», affirme Me Michel Drapeau, colonel à la retraite.

Il explique que si un militaire entretient des relations amoureuses avec une autre personne sous son commandement, cela pourrait fausser son jugement. Par exemple, le supérieur pourrait hésiter à envoyer le subalterne dans une mission dangereuse. Ou du moins, d'autres pourraient penser que le commandant affiche un tel préjugé favorable. Son leadership serait miné. La subjectivité importe ici autant que l'apparence de subjectivité.

Les couples de militaires - environ 6000 au pays - ne sont habituellement pas déployés ensemble en mission, ou du moins pas dans la même unité. Pratiquement tous les militaires sont séparés de leur conjoint. Il serait difficile pour leur moral de voir d'autres soldats folâtrer avec les quelques femmes présentes. La discipline et le leadership motivent aussi l'interdiction des amitiés trop serrées entre militaires de différents grades. Par exemple, les officiers et les sous-officiers ne fréquentent pas les mêmes mess.

De la discipline

Peut-on combattre ainsi la nature humaine? «C'est pour cela que les soldats en mission reçoivent des vacances aux trois mois, où ils sont libres», répond Rémi Landry.

«Nos troupes comptent beaucoup de jeunes hommes et femmes dans la vingtaine en excellente condition physique, observe Alain Pellerin, directeur général de la Conférence des associations de la défense. Évidemment, il peut y avoir des dérapages. Mais cela demeure l'exception, je pense.»

Lorsqu'il dirigeait les forces alliées pendant la Seconde Guerre mondiale, le général Dwight Eisenhower a entretenu une relation avec sa chauffeuse. Mais l'adultère du futur président américain est resté secret. Avec la montée des femmes dans l'armée, la possibilité de telles relations a augmenté. «À cause de cette nouvelle réalité, l'armée a instauré sa première politique sur le sujet en 1988. Elle l'a révisée en 1994, puis une autre fois vers 2004», rappelle Rémi Landry.

Depuis les scandales en Bosnie et en Somalie et les ajustements réglementaires des Forces, Alain Pellerin estime que les militaires sont plus disciplinés.

Michel Drapeau salue cette discipline et ces règlements. Mais il déplore son application trop «rigide». «La vie n'est pas en noir et blanc, il faut des zones de gris dans l'application. Dans le cas du brigadier général Ménard, on ne lui a pas laissé la chance de se défendre avant de révéler les soupçons (non prouvés) sur la place publique.»