Bateaux de plaisance, bateaux de croisière, yachts privés. Puisqu'elle s'étend autour d'un des ports les plus pittoresques du pays, la ville de Victoria a l'habitude de voir des bateaux de tous genres tremper dans ses eaux. Néanmoins, l'arrivée du MV Sun Sea et de ses quelque 450 passagers tamouls dans un port avoisinant est loin d'être passée inaperçue.

L'arrivée des demandeurs d'asile soulève les débats. Si certains plaident la compassion, d'autres expriment de l'inquiétude, voire de la colère à l'égard de la décision du gouvernement canadien d'accueillir le bateau.

Les énoncés du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, qui a affirmé à maintes reprises que des «terroristes» liés aux Tigres tamouls ainsi que des criminels pratiquant les trafics de personnes se trouvent parmi l'équipage et les passagers, font réagir dans la ville réputée pour son conservatisme.

Samedi, une dizaine de résidants de Victoria et un militant de droite de Toronto se sont rassemblés à l'entrée de la base militaire d'Esquimalt, où est accosté le MV Sun Sea depuis son arrivée au Canada vendredi, pour manifester. «Tigres, ne défaites pas vos bagages», pouvait-on lire sur une des pancartes des manifestants. «Retournez au Sri Lanka», clamait une autre.

Un des manifestants, Douglas Christie, croit que l'expérience passée de la Colombie-Britannique prouve que les demandeurs d'asile peuvent représenter un danger pour la sécurité de la province. «Il y a eu l'attentat d'Air India qui a été commis par des immigrants sikhs. Comme les Tigres tamouls, les séparatistes sikhs étaient impliqués dans un conflit à l'étranger. Je ne comprends pas pourquoi nous laissons ces gens venir jusqu'à nous si nous avons le moindre doute sur leurs antécédents», a dit à La Presse l'homme en veston, tout en expliquant qu'il dirige un parti politique qui prône la séparation de la Colombie-Britannique du reste du Canada.

Une résidante de Victoria qui prenait part à la petite manifestation - où les représentants des médias étaient plus nombreux que les protestataires - avait une tout autre raison de protester. «Je connais beaucoup d'immigrants et ils ont dû attendre pendant des années pour venir ici légalement. Ces gens arrivent illégalement, sautent la file, reçoivent des services de santé et l'aide sociale. Ce n'est pas juste pour les autres qui suivent les règles», a tonné la septuagénaire Eve McDonald.

Hier, on pouvait entendre les mêmes arguments dans les tribunes téléphoniques des radios locales et dans les lettres d'opinion, mais plusieurs voix s'élevaient aussi en faveur des réfugiés potentiels.

«Je suis abasourdi par le vitriol qui est versé sur ceux qu'on appelle les «migrants» par des gens qui ne connaissent rien aux réfugiés et au processus qui leur est réservé. Ces migrants n'ont rien fait d'illégal. Ils ont quitté leur pays natal dans un bateau rouillé et ont fait le dangereux voyage vers le Canada. Mettez-vous dans leurs chaussures et laissez-leur la chance de présenter leurs arguments», a écrit Sal Johal, résidant de Victoria, dans le Times Colonist, quotidien de Victoria. D'autres ont rappelé que le Canada a une obligation à l'égard des personnes en danger. «Beaucoup de nos ancêtres sont venus ici dans des conditions difficiles. Nous devons avoir de la sympathie», a soutenu Karen, serveuse d'un restaurant du centre-ville de Victoria.

Ce n'est pas la première fois que Victoria est le port d'arrivée de bateaux remplis d'individus à la recherche de la protection du Canada. En octobre dernier, l'Ocean Lady a accosté au centre de la ville avec, à son bord, 76 demandeurs d'asile tamouls.