L'hélicoptère Griffon survole les rives de l'île de Cornwallis. À gauche, un immense désert de rocaille, fait de collines et de crêtes. Paysage de sécheresse. De l'autre côté, un mélange de turquoise, de bleu et surtout de blanc. C'est le majestueux passage du Nord-Ouest, mythique route maritime qui a fait rêver les explorateurs européens du XIXe siècle, Franklin en tête.

À quelques pas de là, une compagnie de soldats de la 32e brigade traverse le tarmac de gravelle et saute dans le Hercules C130, un avion de transport à quatre hélices qui les mènera dans un autre théâtre d'opérations, à Pond Inlet, plus à l'est. La 32e brigade est un groupe de réservistes basé à Toronto. Mais aujourd'hui, les quelque 120 membres de la compagnie sont deux fois plus près du pôle Nord que de la maison.

Les Forces armées canadiennes ont choisi Resolute Bay, près du 75e parallèle, comme centre nerveux de l'opération Nanook cette année. Le camp et le quartier général avancé y sont établis. C'est l'été, la température oscille entre 2 et 10 degrés Celsius en ce début de semaine. Étonnamment confortable.

«Le Nord est un environnement extrêmement exigeant, avertit pourtant le commandant de la composante aérienne de Nanook, Iain Huddliston. La météo est beaucoup plus imprévisible que dans le Sud.»

Ours polaire

Nanook (ours polaire, en inuktitut) est la plus importante des opérations de souveraineté annuelles des forces armées dans l'Arctique. «Nos soldats participent à des activités qui démontrent notre habileté, notre opérabilité et interopérabilité avec nos alliés dans cette partie énorme et difficile du pays, a expliqué le ministre de la Défense, Peter MacKay, de passage dans le Nord cette semaine. Cela nous permet d'accumuler des connaissances qui nous serviront plus tard.»

«Nous allons effectuer des patrouilles de présence, être sur le terrain, explique le major Allan Best, officier responsable du Groupe compagnie en opérations arctiques de la 32e brigade. Nous allons faire de l'entraînement de survie et apprendre à nos soldats à travailler dans le Nord.»

Un Nord venteux, imprévisible, des immenses espaces vierges, sans la moindre végétation à Resolute, très peu à Pond Inlet. Des infrastructures minimales. Quelques animaux à chasser, mais attention aux ours polaires, pas très amicaux.

Nanook combine les forces terrestres, maritimes et aériennes. Le Canada a aussi invité les marines américaine et danoise, de même que la Garde côtière américaine, à participer à l'exercice. Quelque 1100 militaires, dont 700 Canadiens, sont déployés au centre de l'archipel arctique, accompagnés de neuf navires (cinq du Canada), d'avions de transport et de surveillance et d'hélicoptères Griffon.

«Juste le fait d'opérer dans le Nord entraîne des défis totalement différents», explique le brigadier général Guy Hamel, commandant de la Force opérationnelle interarmées du Nord et superviseur de Nanook. Dans cet endroit reculé où l'armée n'a pas de base, tous les systèmes de communication étaient à faire. La position des satellites rend les liaisons plus complexes dans le Nord. L'armée a aussi installé son propre système de téléphone cellulaire portatif à Resolute.

Partager et apprendre

Les plongeurs de la Garde côtière américaine s'exercent aux côtés des Canadiens de l'armée ou de la marine. Ils plongent à travers les glaces de la baie, dans une eau à -4 et -5 degrés Celsius. Mais au passage de La Presse, un hélicoptère les amène plutôt au-dessus d'un petit lac, où ils plongent dans une eau «chaude»: presque 5 degrés.

«Nous testons nos connaissances, et on les partage avec la marine et les Américains», dit le capitaine Jean-Pierre Noël, commandant adjoint de l'unité de plongée de l'armée.

De l'autre côté de la base, les soldats apprennent d'une autre source. Quelques murets et un poste d'observation sont montés dans cette zone rocailleuse à quelques dizaines de mètres de la baie. On y trouve également quelques inukshuks, montages de pierres imitant la forme humaine. Des pièges à renards en pierre y ont été fraîchement construits, même si le succès n'a pas été au rendez-vous la nuit dernière.

Le poste est occupé aujourd'hui par une dizaine de soldats et trois rangers. Les rangers sont des réservistes des communautés locales qui sont en quelque sorte les yeux et les oreilles de l'armée dans les zones éloignées. En Arctique, ils sont presque tous inuits. Ils sont largement impliqués dans Nanook, où ils sont intégrés et apprennent aux militaires quelques trucs de survie dans ce milieu hostile.

«Les soldats ne cessent de nous poser des questions», lance le ranger Philip Manik en souriant. Cet Inuit de 21 ans vit à Resolute Bay.

«Les rangers sont d'une importance critique, dit le major Allan Best. Ils connaissent le territoire. Ils nous permettent aussi de communiquer avec les Inuits qui ne parlent que l'inuktitut.»

Le vent se lève

Jeudi matin, le vent arctique se lève. Les nuages et la pluie se mettent de la partie. Au coeur de la nuit, pourtant, le ciel était encore magnifique, à la lueur du soleil qui ne se couche presque pas à cette période de l'année. Le vent latéral qui souffle sur la seule piste d'atterrissage de Resolute Bay cloue au sol l'avion Hercules qui doit emmener le ministre Peter MacKay (et La Presse) à Pond Inlet. Les aléas de l'Arctique, expliquent les militaires.

L'autre aléa, évidemment, c'est la glace. Celle qui flotte dans la baie de Resolute n'était pas là au début de la semaine. Et le brigadier-général Hamel souhaite qu'elle soit partie avant le début de la semaine prochaine, puisque des navires canadiens doivent s'y rendre.

Au moins, le fort vent, s'il se poursuit de plus belle, pourrait pousser les glaces et libérer la baie. Mais il empêche certains avions de voler. La météo change constamment les plans: une autre leçon de l'école du Nord.

Des navires étrangers

Un des deux navires déployés par la Marine royale danoise pour l'opération Nanook 10, la frégate HDMS Vaedderen, est celui-là même utilisé en 2002-2003 pour débarquer sur l'île de Hans, dont le Danemark et le Canada se contestent la propriété. De leur côté, les Américains ont envoyé le USS Porter, un contre-torpilleur de leur meilleure classe. Selon Rob Huebert, professeur de sciences politiques à l'Université de Calgary, la présence de ces navires de guerre donne une idée de la direction du développement des capacités arctiques de ces alliés de l'OTAN. Le ministre Peter Mackay a été clair en point de presse: le Canada n'a pas l'intention d'étendre le nombre de ses invitations et il n'est pas question de voir la Russie participer à l'opération Nanook.

Simulation d'un désastre écologique

L'opération Nanook 2010 prendra fin la semaine prochaine avec l'exercice Tallurutiit, qui simulera une fuite de carburant dans la baie de Resolute. Mené par la Garde côtière du Canada, l'exercice implique aussi plusieurs ministères fédéraux de même que le gouvernement du Nunavut et la communauté de Resolute Bay. Il permettra aux intervenants locaux et aux rangers d'avoir les connaissances et les équipements nécessaires pour réagir à une fuite.