On ne trouve plus de bébés sur les parvis des églises ou dans des paniers, à la porte des couvents. Tous les parents ont-ils pour autant le ressort de faire appel aux services sociaux quand, en pleine crise, ils se sentent incapables de s'occuper de leur bébé? Un hôpital de Vancouver est si loin d'en être certain qu'il a mis en place sur son terrain un «berceau des anges» où l'on peut abandonner son nouveau-né en tout anonymat. Un exemple à suivre?

La petite porte a été ouverte et le bébé, déposé dans la couveuse, à côté d'une peluche. Pour seule explication, une note indiquant les circonstances de la naissance et l'origine ethnique de l'enfant. Trente secondes plus tard, l'alarme était déclenchée et le bébé, recueilli.

C'était en juillet, à l'hôpital Saint-Paul, à Vancouver. Deux mois plus tôt, dans la controverse, l'institution, de tradition catholique, avait inauguré son «dépose-couffin».

Le docteur Geoffrey Cundiff, qui en a eu l'idée, ne cache pas que le ministère de la Famille de la Colombie-Britannique s'y opposait.

Même s'il était préoccupé par les quelques cas de bébé abandonné dans une ruelle ou à un arrêt d'autobus survenus au cours des dernières années, le Ministère jugeait que les services sociaux existants couvraient déjà largement les besoins. Il ne fallait d'aucune façon encourager qui que ce soit à abandonner un bébé en dehors du système, jugeait-on.

Ce n'était pas là les seules critiques. D'autres voix se sont fait entendre, à Vancouver, pour faire valoir qu'une mère prête à abandonner son enfant se trouve normalement dans une crise telle qu'elle ne prendra jamais la peine d'aller le mener en un lieu précis. D'autres encore dénonçaient le fait qu'un abandon aussi anonyme priverait l'enfant de ses racines et des antécédents médicaux de sa famille.

Loin d'avoir été sourd à ces critiques légitimes, le Dr Geoffrey Cundiff dit y avoir été très sensible. Il en a été ébranlé, même.

«C'est sûr que l'idéal, ça aurait été que ce service se révèle en effet inutile et ne soit jamais utilisé.»

Ça n'a pas été le cas. Le «berceau des anges» de l'hôpital Saint-Paul a servi, donc, deux petits mois après sa mise en place. Le bébé a été pris en charge par les services sociaux. Au ministère de la Famille de la Colombie-Britannique, on s'est alors contenté de se réjouir que «l'enfant ait été abandonné de façon sécuritaire».

Le Dr Cundiff dit que cet épisode a changé sa façon de voir les choses. «Avant, je ne pouvais que présumer que ce service était nécessaire. Maintenant, j'en ai la preuve.»

Visuellement, l'endroit, situé sur un mur de l'hôpital, se présente comme une «chute à livres», dans les bibliothèques, ou une «chute à dvd», dans les clubs vidéo. On ouvre une petite porte, et c'est tout. Aucune caméra, aucune question posée: conformément avec une entente avec la police, le parent ne sera pas inquiété.

C'est aussi le cas dans plusieurs États américains qui sont nombreux à disposer de législations prévoyant que des personnes en détresse peuvent, sans crainte d'accusations ultérieures, aller déposer leur bébé dans des endroits bien précis (poste de police, caserne de pompiers, hôpital, etc.)

Au Canada, «le berceau des anges» est présentement le seul du genre. Le Dr Cundiff, instigateur du projet à l'hôpital Saint-Paul, note que d'autres hôpitaux au pays, notamment en Alberta, réfléchissent à la pertinence de reproduire l'idée. Il ajoute que certaines provinces commencent à songer à s'inspirer des États américains qui permettent à des parents de confier légalement leur bébé à des personnes en autorité.

Secret le plus complet

À l'hôpital Saint-Paul, à Vancouver, l'anonymat est tel que l'hôpital refuse même de révéler le sexe du bébé laissé en juillet. Tout au plus saura-t-on qu'il est probablement de parents immigrants.

Ironiquement, le Dr Cundiff n'a jamais vu le bébé. «J'étais à l'extérieur de la ville, ce jour-là.»

Parce que ces cas demeurent rares et difficiles à documenter, «on dispose de peu de données nous expliquant ce qui incite des femmes à abandonner leur bébé, mais on aurait tort de croire de façon stéréotypée que c'est nécessairement le fait de jeunes droguées», dit le Dr Cundiff.

Le médecin, qui est à la tête du département d'obstétrique et de gynécologie, pensait que ce service pouvait tout aussi bien être utilisé par des adolescentes qui gardent leur grossesse secrète jusqu'à la tout fin. Ou alors par des nannies étrangères.

«En vertu du programme qui les accueille au pays, les nannies n'ont pas le droit de rester ici si elles deviennent enceintes», note le Dr Cundiff.

«Comme obstétricien, ajoute-t-il, j'ai eu pour patientes de nombreuses femmes très mal prises, sans le sou, battues ou droguées. Pendant toutes ces années, jamais je n'en ai côtoyé qui considéraient leur grossesse comme un détail sans importance. Par contre, ce que j'ai vu, parfois, ce sont des femmes qui se sentaient obligées de choisir entre leur survie à elle et celle de leur bébé.»