Victoire pour les journalistes au Québec: la Cour suprême du Canada leur reconnaît un privilège pour la protection de leurs sources, même s'il sera accordé au cas par cas.

L'identité de «Ma chouette», l'informateur par qui a été dévoilé en bonne partie le scandale des commandites, restera donc secrète pour l'instant.

Mais toute la bataille juridique à l'origine de ce débat se poursuit et la Cour supérieure du Québec pourrait éventuellement ordonner que son nom soit révélé.

La Cour devra cependant appliquer le nouveau test qui vient d'être imposé par la Cour suprême dans ce jugement avant d'obliger qui que ce soit à briser l'anonymat de «Ma chouette».

L'identité d'une source confidentielle sera protégée au nom de l'intérêt public. En vertu de ce nouveau test, elle ne sera dévoilée qu'après un minutieux examen par un juge, et ultimement, seulement si cela s'avère essentiel à l'intégrité de l'administration de la justice.

Le plus haut tribunal du pays a ainsi rendu vendredi un jugement crucial sur la protection de la confidentialité des sources des journalistes.

Cette décision s'applique au Québec car c'est là qu'a été intentée l'action dans laquelle une partie demandait qu'un journaliste révèle le nom de son informateur.

En reconnaissant unanimement l'existence d'un privilège pour la première fois au Québec, les neuf juges ont tout de même solidifié les droits des journalistes.

«On prend ce jugement-là comme une grande victoire», a déclaré vendredi Daniel Leblanc, le journaliste du Globe and Mail à l'origine de ce débat juridique.

Relevant qu'il est écrit dans le jugement que «le public a un intérêt élevé dans le journalisme d'enquête», M. Leblanc s'est réjouit de cette remarque, qui pourra influencer le traitement futur des informateurs secrets.

«Je suis heureux de voir que la Cour suprême reconnaît l'importance de la protection des sources et l'importance du travail des journalistes, que c'est dans l'intérêt public», a-t-il ajouté dans le hall de la Cour suprême à Ottawa, peu après que la décision eut été rendue publique.

«L'enjeu est la prochaine «Ma chouette», a renchéri l'avocat du Globe and Mail, William Brock, saluant au passage le courage de l'informateur.

Il a indiqué qu'avec le test, le droit sera maintenant «clair pour tous», alors qu'avant, la jurisprudence québécoise était partagée sur cette question.

C'est le controversé programme fédéral des commandites qui a servi de toile de fond à ce litige.

Sur la foi d'informations obtenues d'une source non identifiée, le journaliste Daniel Leblanc a écrit pour le Globe and Mail une série d'articles sur ce qui est maintenant connu comme le «scandale des commandites».

«Ma chouette», il s'agit en fait du surnom de sa source confidentielle, vraisemblablement un fonctionnaire au sein du gouvernement libéral de l'époque.

À ce jour, l'identité de la source n'est toujours pas connue. Un secret qui doit le demeurer, insistent M. Leblanc et son quotidien.

Après que le scandale eut éclaté, le procureur général du Canada a intenté en 2005 des poursuites contre diverses entreprises pour récupérer l'argent versé dans le cadre de contrats de commandites.

Poursuivi pour 35 millions $ au Québec, le Groupe Polygone Éditeurs a tenté par divers moyens de forcer la divulgation de l'identité de «Ma chouette» pour étayer sa défense, en interrogeant Daniel Leblanc, mais aussi plusieurs autres personnes.

Le Globe and Mail a demandé à la cour d'empêcher ces manoeuvres. Parce qu'elles violent le droit de son journaliste à la liberté d'expression, particulièrement son droit de protéger ses sources confidentielles.

Ayant refusé de répondre aux questions de l'avocat de Polygone - malgré un ordre du juge - M. Leblanc risquait l'emprisonnement.

Tout au long de cette affaire, il avait maintenu qu'il préférait aller en prison plutôt que de révéler sa source.

Les tentatives du Globe and Mail ont été rejetées par la Cour supérieure qui a refusé de reconnaître l'existence d'un privilège journalistique. Pour des raisons procédurales, la Cour d'appel n'est pas intervenue.

Quant au jugement de la Cour suprême, il a été reçu tièdement par le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Brian Myles.

Il aurait aimé une protection plus solide pour les journalistes.

«Ça nous ramène à la logique du cas par cas. On n'aura pas un droit quasi-constitutionnel à la protection des sources. Il va falloir faire valoir qu'on le mérite», a-t-il expliqué.

Le président de la FPJQ apprécie néanmoins la reconnaissance formelle du privilège.

«Ça va donner une zone de confort aux journalistes pour cultiver leurs sources, mais ils ne pourront jamais leur garantir un anonymat absolu», fait-il remarquer.

Concluant qu'un tel privilège pour les journalistes ne peut trouver d'assise dans la liberté d'expression - un droit reconnu par la Charte du Québec et celle du Canada - la Cour suprême a quand même jugé bon d'intervenir.

«Les rapports confidentiels entre les journalistes et leurs sources anonymes doivent bénéficier d'une certaine forme de protection juridique», peut-on lire dans le jugement.

Reconnaissant qu'il y a un vide dans la loi au Québec, la Cour estime qu'il lui revient de créer un cadre pour gérer cette situation.

La Cour a ainsi décidé d'importer au Québec un test utilisé dans les autres provinces canadiennes.

En gros, pour que la source demeure secrète, il faut qu'il y ait eu une entente d'anonymat avec le journaliste, sans laquelle l'information n'aurait pas été transmise. Il faut de plus que l'intérêt public à protéger la source soit plus grand que l'intérêt public à connaître la vérité.

«C'est un test qui va protéger les sources et qui finalement va protéger la démocratie parce que sans une presse et des journalistes vigilants, la démocratie est toujours précaire», a conclu avec conviction Me Brock, qualifiant le test de «très exigeant».

Avec ce jugement de la Cour suprême, le même régime juridique prévaudra désormais partout au pays.