C'est un non catégorique, sur 148 pages. Non, la polygamie n'est pas une forme comme une autre d'adultère; non, elle n'a rien à voir avec la liberté individuelle de chacun, qu'elle soit sexuelle ou religieuse: la polygamie opprime les femmes et ne doit pas être autorisée au Canada, tranche le Conseil du statut de la femme (CSF) dans un avis tout frais.

Pourquoi ce volumineux avis, pourquoi maintenant? Parce que la Cour suprême de la Colombie-Britannique (l'équivalent de notre Cour supérieure), dans la cause de deux mormons de Bountiful accusés de polygamie, s'apprête à décider de la constitutionnalité de la loi fédérale qui interdit les mariages multiples.

Plutôt que de préconiser «une vaste chasse aux sorcières», le Conseil du statut de la femme suggère de «viser en priorité les chefs religieux qui consacrent des unions polygames au Canada en violation de la loi». «Il faudrait également sévir contre les cas de polygamie les plus visibles, qui servent d'exemples aux yeux des membres de leurs communauté», peut-on lire.

Le Canada et, à plus forte raison, le Québec doivent faire de la polygamie «un critère justifiant le refus de la candidature à l'immigration», estime le CSF.

Mais comment mettre ce critère en application? Tout candidat n'aura-t-il pas tôt fait de dire qu'il coule des jours heureux avec sa femme, sans préciser qu'il en a trois autres à la maison?

Christiane Pelchat, présidente du Conseil du statut de la femme, ne voit pas de problème d'application, d'autant moins que le Québec oblige déjà les immigrants à signer une déclaration par laquelle ils disent adhérer à nos valeurs fondamentales, parmi lesquelles l'égalité entre les hommes et les femmes. (Fait à noter, cependant, ce document que fait signer le gouvernement du Québec n'est pas coercitif.)

«On peut être déchu de sa citoyenneté», dit Mme Pelchat.

Dans son avis, le Conseil du statut de la femme répond point pour point à chacun des arguments communément invoqués pour justifier la polygamie.

Par exemple, «si le fait de s'engager dans une union multiple relève d'un «choix personnel», le plus souvent celui des hommes, ses conséquences sont collectives», tant du point de vue social que du point de vue économique.

«Dans le cas de Bountiful, un mari polygame peut avoir de 40 à 80 enfants ou plus. Comme le souligne le procureur général de la Colombie-Britannique, il y a de bonnes raisons de craindre que la pratique de la polygamie ne conduise à la multiplication d'unités familiales qui ne sont pas viables économiquement (au détriment des femmes et des enfants) et qui seraient de plus en plus dépendantes des services publics.»

À ceux qui prétendent que la polygamie relève d'un choix religieux ou sexuel, le Conseil du statut de la femme, sur la base d'une considérable revue de la littérature, répond que la polygamie est plutôt le haut lieu de l'exploitation de mineures, souvent mariées «à un homme plus âgé qu'elles, qui peut être leur oncle, leur beau-père ou un ami de leur père et parfois de leur grand-père».

Et non, la polygamie ne peut être assimilée à l'adultère: «Les tribunaux ayant examiné ce parallèle ont conclu que la loi interdisant la polygamie ne s'applique pas à l'adultère, même quand les personnes en cause cohabitent, car ces personnes ne prétendent pas contracter une forme de mariage. De plus, il faut souligner que la polygamie, contrairement à l'infidélité, est fondée sur une relation asymétrique, y compris des obligations conjugales contraignantes.»

Ailleurs dans le monde

Ailleurs dans le monde? Le Conseil du statut de la femme précise que le Danemark refuse de reconnaître les mariages multiples. La France et l'Angleterre interdisent les mariages polygames à moins qu'ils n'aient été contractés dans les pays où la polygamie est admise. Récemment, «la cour britannique a adopté une mesure controversée, accordant un supplément au revenu familial minimum de 33,65 £ par mois pour chaque femme additionnelle, ce qui implique une reconnaissance implicite de la polygamie».

En entrevue, Christiane Pelchat a avancé que, si l'on appliquait réellement le Code criminel, seuls les hommes seraient accusés puisque ce sont eux qui ont plusieurs femmes, alors que la femme, elle, n'a qu'un mari.

Dans les faits, le Code criminel ne semble pas aller dans ce sens. «Est passible d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque (...) pratique ou contracte, ou d'une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer» la polygamie.

Le Conseil du statut de la femme espère que son avis inspirera les avocats qui plaident l'affaire en Colombie-Britannique ou inspirera le gouvernement du Québec dans ses plaidoiries devant la Cour suprême du Canada, si l'affaire y aboutit.