Entrevue avec Ferdinand Minga, membre de la communauté congolaise, spécialiste de la culture évangélique et intervenant communautaire à Moisson Montréal.

Q- Quelle est l'importance des Églises évangéliques chez les Congolais?

R- Très grande. Aux dernières nouvelles, on en comptait 69 à Montréal. Les Congolais sont un peuple très croyant, qui a longtemps été majoritairement catholique. Mais dans les années 80 et 90, plusieurs sont passés aux Églises de réveil, qui proposaient une autre façon de faire. Dans ces Églises, le pouvoir appartient aux laïcs. Les pasteurs sont mariés. On les écoute parce qu'ils comprennent mieux la réalité familiale. Et parce qu'ils sont de beaux parleurs.

Q- Ces pasteurs ont-ils étudié en théologie?

R- Pas forcément. Du jour au lendemain, un individu peut s'autoproclamer prophète, pasteur, bishop et c'est parti.

Q- Qu'apportent-ils à leurs fidèles?

R- L'espoir. De trouver un job. De faire de l'argent. De sortir de la misère. Le pasteur vous amène à croire que la vie va vous sourire si vous restez avec lui... Les Églises de réveil forment une famille d'adoption pour l'immigrant qui cherche ses repères. Le recrutement se fait souvent dans les YMCA, où échouent beaucoup de nouveaux arrivants.

Q- Recruter de nouveaux fidèles est-il une priorité?

R- Absolument. Chaque semaine, les membres de l'Église ont pour mission de ramener au moins un fidèle. C'est le système pyramidal. Plus il y a de gens dans une Église, et plus les gens la prendront au sérieux.

Q- Plus de gens, c'est aussi plus d'argent, non?

R- Évidemment. Dans la plupart des Églises, il y a un minimum à donner. Ça peut aller de 10$ à 10% de son salaire annuel. C'est un geste de honte si le panier passe et qu'on n'a rien à donner. Le système des enveloppes (sur lesquelles on doit s'identifier) permet d'ailleurs de traquer ceux qui donnent peu ou pas. Le fidèle pense que plus il donne, plus Dieu le lui rendra. Dans certains cas, c'est devenu un commerce très lucratif. C'est pour ça qu'ils sont nombreux à vouloir ouvrir des Églises.

Q- Est-ce que les fidèles sont conscients que certaines Églises les veulent surtout pour leur argent?

R- Je pense qu'ils savent. Mais c'est du donnant-donnant. Les Églises de réveil représentent un réseau idéal pour ceux qui veulent faire des affaires. Certains les fréquentent uniquement parce qu'ils ont des bijoux, des produits de beauté ou des DVD religieux à vendre. Ce qui se fait bien sûr avec l'accord du pasteur, en échange d'un certain pourcentage sur les ventes. On peut vivre seulement de ce marché parallèle. Les pauvres fidèles qui y vont seulement pour prier ne sont pas nombreux...

Q- On entend parfois parler des abus de certains pasteurs. Qu'en est-il exactement?

R- C'est réel, mais reconnaître les abus est difficile. Chaque pasteur sait qu'il est sous la loupe et se protège au maximum. En général, ce sont les membres de sa famille qui sont trésoriers de l'Église. Ou quelqu'un qui ne connaît pas les finances. Ou le pasteur lui-même. En général, cela lui permet de disposer comme il veut de tout cet argent.

Q- Comment en disposent-ils au juste?

R- Cela peut se traduire par des prêts usuraires, des financements pour des entreprises qui démarrent. Un pasteur peut aussi financer l'achat de sa propre maison. Beaucoup donnent aussi dans l'import-export. Il n'est pas rare de voir un pasteur acheter des véhicules d'occasion au Canada, pour les revendre avec profit au Congo. D'autres vont en Chine, d'où ils ramènent des conteneurs entiers de produits. Ce sont des gens d'affaires.

Q- Y a-t-il des inquiétudes chez les fidèles?

R- De plus en plus. Quand ils s'en aperçoivent, le premier réflexe est de pardonner. Souvent ils ont honte, alors ils n'en parlent pas. Ils vont encore à l'église, mais ils deviennent de plus en plus réticents et commencent à se poser plus de questions. Mais personne ne peut prouver quoi que ce soit.