Les méthodes de cueillette d'informations utilisées par Statistique Canada pour en apprendre davantage sur les Canadiens ne devraient pas constituer des sujets de débat et inspirer une féroce rhétorique politique, mais la controverse entourant le formulaire détaillé de recensement devrait bien occuper une place centrale en 2011, une année qui pourrait être électorale.

La décision controversée du gouvernement Harper d'abandonner le caractère obligatoire de ce formulaire détaillé a déclenché un tollé politique, a mené à une réprobation publique sans précédent pour un questionnaire, et est rapidement devenue l'une des questions les plus controversées et les plus inusitées de 2010.

Et c'est loin d'être fini.

Ottawa a éliminé le caractère obligatoire du formulaire détaillé en raison de son aspect trop invasif, selon le gouvernement. La décision est prise, insiste Ottawa; le formulaire détaillé obligatoire est mort. Les conservateurs de Stephen Harper estiment que cette question ne préoccupera pas les électeurs.

Des statisticiens et des analystes politiques pensent toutefois le contraire.

Ivan Fellegri, qui a occupé pendant plus de 20 ans le poste de statisticien en chef à Statistique Canada, est tout à fait certain que le formulaire détaillé de recensement sera de retour. «Et pour quelle raison? Je suis sûr que les résultats du recensement de 2011 seront discutables», dit-il.

L'avenir du recensement tel que nous l'avons connu repose en grande partie sur le résultat des prochaines élections fédérales, qui auront peut-être lieu au printemps.

Si le gouvernement change, Ottawa devra agir lorsqu'il sera confronté aux failles présentes dans les données qui seront certainement produites lors de la prochaine enquête, estime M. Fellegri, qui a admis n'avoir jamais vu autant de réprobation publique lors de ses 45 années de carrière au sein de l'institution fédérale.

Ottawa a rejeté les critiques en les associant aux cris habituels des groupes de pression. Mais alors que les voix gagnaient en intensité, elles sont également devenues plus importantes: le gouverneur de la Banque du Canada, plusieurs ministres provinciaux, la Fédération canadienne des municipalités et l'Association médicale canadienne, des organisations religieuses, des groupes de défense des droits de la personne, et d'autres opposants encore ont tous maintenu que la décision compromettraient les données clés sur lesquelles sont basées leurs programmes et leur action.

Même Statistique Canada s'est retrouvée coincée dans la tourmente lorsque son statisticien en chef, Munir Sheik, a démissionné pour protester contre l'approche fédérale, niant les allégations du ministre de l'Industrie, Tony Clement, selon lesquelles l'agence appuyait la décision, et se plaignant que Statistique Canada était devenue une marionnette politique.

Au cours du débat, M. Clement a maintenu que la nouvelle approche permettait d'obtenir un équilibre entre le besoin d'obtenir des informations démographiques essentielles et l'obligation gouvernementale de protéger la vie privée des Canadiens. Son bureau a refusé les demandes d'entrevue, référant plutôt les journalistes aux précédentes déclarations.

La tenue d'un scrutin au printemps 2011 pourrait venir compliquer les choses si les formulaires du recensement et les cartes d'électeurs se retrouvent ensemble dans le courrier.

Cependant, malgré le débat souvent intense, la controverse du recensement est une question de chiffres passablement aride qui ne s'inscrit pas véritablement dans le quotidien des Canadiens.

«Même lorsque le débat était très vif, il était maintenu par des organisations importantes, un très grand nombre d'entre elles, mais je ne sais pas à quel point il s'agissait d'une conversation autour de la table», a admis M. Fellegi.

«Ceux qui se servent du recensement sont d'importants utilisateurs, et ont vraiment tenté d'en faire un enjeu important, mais le nombre de personnes qui se sont senties véritablement affectées formaient probablement un petit groupe.»

À une plus grande échelle, les implications à long terme de la décision gouvernementale sur la crédibilité de Statistique Canada constituent un problème sérieux, a averti M. Fellegi: le choix d'un questionnaire volontaire compromet l'un des plus grands atouts du Canada.

«Statistique Canada est arrivé au point où les gens discutaient souvent des mérites des arguments, plutôt que des données les soutenant ou les réfutant, parce que les chiffres étaient acceptés comme tels, parce qu'ils provenaient de Statistique Canada», a dit M. Fellegi.

Peggy Taillon, présidente de la Coalition canadienne pour le développement social, et leader d'une requête devant les tribunaux pour ramener le caractère obligatoire du formulaire détaillé, estime que modifier le recensement démontre un manque d'intérêt envers le bien-être des Canadiens.

«Les gens pensent: «Il est inconcevable que notre gouvernement ne souhaite pas obtenir les meilleures informations pour nous offrir les meilleurs services', et, de cette façon, notre capacité de décision est réduite, et donc l'imputabilité envers les contribuables est diminuée.»