Faisant écho aux multiples signaux d'alarme lancés par les gouvernements, un sondage CROP commandé par La Presse illustre combien la vie d'un Québécois sur trois est plombée par l'endettement. Une situation telle que le gouvernement du Québec envisage de mettre au pas les émetteurs de cartes de crédit et que l'ex-ministre des Finances Monique Jérôme-Forget est sortie de sa retraite politique pour contribuer au débat.

Le tiers des Québécois se considèrent comme «assez ou très endettés», survivent d'une paye à l'autre et n'auraient pas suffisamment d'économies pour tenir plus d'un mois s'ils perdaient leur principale source de revenus.

C'est ce qui ressort d'un sondage CROP réalisé pour La Presse entre le 10 et le 14 décembre derniers.

Il ne faudrait pas un grand coup de vent pour que plusieurs personnes en soient réduites à vendre leur maison, pour autant qu'ils en aient une. «Une personne dont le budget est aussi serré que le tiers de nos répondants n'aurait pas le choix de s'endetter sur-le-champ si elle perdait son emploi parce qu'elle n'aurait même pas de quoi attendre son premier chèque de chômage», fait observer Youri Rivest, vice-président de CROP.

Les derniers temps ont été difficiles, le coup de sonde le montre bien: par rapport aux deux dernières années, 42% des répondants ont dit que leur endettement avait un peu ou beaucoup augmenté.

Comment les personnes endettées entendent-elles se tirer d'affaire? Pour 60% d'entre elles, la solution passe par une réduction des dépenses. Travailler davantage ou trouver un emploi mieux rémunéré n'est privilégié que par 28% des personnes interrogées, tandis que 15% espèrent sortir du gouffre... en gagnant à la loterie!

Il y a certes de la pensée magique pour ce qui est de la loterie, mais aussi quant à cette volonté de réduire ses dépenses, fait observer Youri Rivest. «Quand on est endetté, on n'a de prise que sur une infime partie de ses dépenses puisque la plus grande part sert à rembourser ceci ou cela.»

Ce qui est sûr, c'est que les choses peuvent débouler rapidement, signale Clémence Gagnon, conseillère budgétaire à l'Association coopérative d'économie familiale de Québec (ACEF). Dans son bureau, chaque semaine, elle voit défiler quantité de gens aux cartes et aux marges de crédit saturées, qui prennent une énième carte de crédit pour obtenir ainsi une avance de fonds et gagner du temps.

Le pire, se désole-t-elle, c'est que certaines institutions n'ont aucun scrupule à encourager les gens déjà pris à la gorge à le faire.

«Dans une recherche que l'on vient de faire sur la question, on a même trouvé une institution qui faisait sa promotion là-dessus, sur le thème: "Réglez vos problèmes financiers! Faites venir notre carte!"»

Réhypothéquer sa maison

Il y a les cartes de crédit, mais il y a aussi cette possibilité de réhypothéquer sa maison.

Dans notre sondage, 37% des personnes sondées l'ont déjà fait. Il n'y a pas de quoi s'alarmer pour la moitié d'entre eux, qui ont pris cette décision pour rénover leur résidence et, partant, en faire augmenter la valeur. Le problème, comme le signale M. Rivest, se situe plutôt chez les 34% qui ont décidé de réhypothéquer leur résidence pour payer des biens de consommation courante, pour rembourser des dettes ou pour s'offrir un petit luxe comme un voyage. «Pour ceux-là, tout cet argent s'envole en fumée de mois en mois», fait remarquer M. Rivest.

Dans la mesure où une hausse des taux d'intérêt est imminente, on a voulu savoir quel effet cela pourrait avoir sur les Québécois. Selon le sondage CROP, un tiers des Québécois auraient de sérieuses difficultés financières si les taux augmentaient de trois points de pourcentage. Les plus vulnérables? Ceux qui ont une hypothèque de 150 000 à 200 000 $: parmi eux, 62% auraient du mal à boucler leur budget ou devraient sérieusement envisager de vendre leur maison.

C'est là une triste perspective qu'a aussi mise en lumière le mouvement Desjardins dans une étude de l'économiste principale Hélène Bégin, qui prévoit que, en 2015, entre 5000 et 10 000 ménages de plus pourraient être forcés de déposer leur bilan.

Dans tout ce contexte, on ne s'étonnera pas que les REER soient hors d'atteinte pour bien des gens: 46% des répondants faisant partie de la population active ont répondu qu'ils n'en avaient pas pris en 2009 et qu'ils ne prévoyaient pas le faire en 2010.

En 2010, la faillite est-elle toujours aussi honteuse qu'à une certaine époque? Ici, c'est presque l'égalité: 51% des gens sont «tout à fait d'accord ou plutôt d'accord» avec l'idée qu'elle est honteuse, en toutes circonstances, tandis que 49% sont plutôt ou tout à fait en désaccord. Pour 39% des répondants, la faillite personnelle est une bonne solution pour se sortir d'un mauvais pas, et 36% disent que la faillite personnelle est acceptable si les seuls créanciers sont des banques.

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Eh bien, dansez, maintenant!

Selon CROP, 52% des Québécois sont des fourmis, 19% d'entre eux sont des cigales et 30% se retrouvent dans la catégorie des endettés.

Telle est la typologie qu'ose le sondeur après avoir passé en revue les réponses aux questions de son sondage sur l'endettement réalisé en décembre.

Les endettés, c'est facile: ce sont ces gens qui nagent déjà dans le rouge. Ils n'acquittent souvent que le stict minimum du solde de leur carte de crédit ou alors ont réhypothéqué leur maison pour des biens de consommation courante ou pour consolider leurs dettes.

Les cigales, au bord du gouffre, deviendraient vulnérables à la moindre secousse: une perte d'emploi les mènerait sur-le-champ à s'endetter et la hausse prochaine des taux hypothécaires leur donnera manifestement de sérieux maux de tête.

Les fourmis, elles, ne souffrent pas d'insécurité particulière. Face à un imprévu, elles sauraient se tirer d'affaire sans mal.

Youri Rivest, vice-président de CROP, fait observer que, contrairement à ce que l'on pourrait présumer, les personnes endettées se rapprochent plus de la classe moyenne, tandis que les cigales, elles, ont de plus faibles revenus.

Cette typologie rejoint un sondage réalisé en 2010 par l'Association des comptables généraux accrédités du Canada, lequel concluait que, s'il devait payer une dépense imprévue de 5000 $, un ménage sur cinq (nos cigales) se retrouverait dans le pétrin.