Condamné injustement en 1964 à 15 ans d'emprisonnement pour un vol à main armée commis à Mont-Laurier, Réjean Hinse vient d'obtenir 13,1 millions en guise d'indemnisation, soit 8,6 millionsdu gouvernement du Canada et 4,5 millionsdu gouvernement du Québec. M. Hinse, qui avait finalement purgé cinq ans de pénitencier, obtient ainsi réparation, un demi-siècle après les faits, et récolte ce qui pourrait être la plus haute compensation du genre jamais versée au Québec.

La voix tremblante par moments, encore chaviré par ce jugement tout frais, Réjean Hinse s'est présenté jeudi en conférence de presse dans les bureaux du cabinet Borden Ladner Gervais qui a agi pro bono dans cette affaire.

Le jugement, il en a pris connaissance en fin de journée, mercredi. «J'ai eu pas mal de difficulté à dormir ensuite», a-t-il admis.

Pour résumer l'état d'esprit qui l'a animé pendant toutes ces années, M. Hinse avait apporté un tableau: Le cri, d'Edvard Munch. «Ce cri, pour moi, c'est un hurlement. Ça définit parfaitement dans quel état psychologique je me suis retrouvé pendant que j'étais au pénitencier et au cours de toutes les années qui ont suivi.»

Pendant la première année qu'il a purgée au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, il était victime de maux de tête si violents, a-t-il raconté, qu'il tentait désespérément de «s'anesthésier» en se frappant la tête à répétition contre le mur.

Pour la juge Hélène Poulin, de la Cour supérieure, M. Hinse a été victime d'un «cafouillage juridique (qui) donne le vertige».

«La grave inertie administrative de même que la lourde paralysie institutionnelle dans laquelle le gouvernement fédéral s'est complu pendant toutes ces années ont confiné Hinse dans la "prison psychologique" qu'il n'a pas, à ce jour, réussi à briser: il en a même perdu sa dignité», peut-on encore lire dans le jugement.

Le parcours de M. Hinse est certes celui du combattant. En 1989, après des années d'acharnement, il convainquait la Commission de police de se pencher sur son cas.

La conclusion de la Commission: il avait été victime d'une enquête «pourrie» et avait été mal défendu dans un procès inéquitable.

Fort de cette décision, M. Hinse s'est adressé en 1991 à la Cour d'appel, qui a cassé le verdict de culpabilité et décrété l'arrêt du processus judiciaire. Vu le temps écoulé, on ne pourrait pas tenir un nouveau procès.

M. Hinse s'est alors tourné vers la Cour suprême, qui a d'abord refusé d'entendre sa cause. Il a alors écrit au juge en chef Antonio Lamer, qui a fini par se raviser et par accepter de l'entendre.

À l'unanimité, sept juges de la Cour suprême l'ont acquitté en janvier 1997.

Pour les compensations financières, M. Hinse a finalement dû passer au travers d'un procès civil qui a duré six semaines l'automne dernier.

Un appel d'Ottawa?

Avant les plaidoiries, le gouvernement provincial a consenti à une entente. Le gouvernement fédéral n'a rien voulu savoir, et tout indique qu'il pourrait interjeter appel.

«S'il le fait, a prévenu M. Hinse, il va frapper un mur, comme je me suis moi-même buté à leur mur.»

M. Hinse a depuis lors refait sa vie. Il n'a jamais été accusé de nouveau. Il a eu des enfants, et a gagné sa croûte comme tuyauteur.

Amoureux d'art, il entend poursuivre ses cours à l'université du troisième âge, multiplier les visites dans les musées et faire un jeûne. Tout au plus, compte-t-il faire un voyage en Italie pour célébrer cela. Ce qui lui importe depuis le début, son but ultime, «c'est que (son) innocence soit reconnue. Je me suis toujours considéré comme un gros travailleur et comme un épargnant. Je suis assez solitaire, et je ne changerai pas mon style de vie».

En entrevue, il a insisté aussi sur le fait qu'il n'était pas la seule innocente victime, dans cette affaire, mais qu'un certain André Lavoie, aujourd'hui disparu, avait été lui aussi injustement condamné à 14 ans de pénitencier avant d'être libéré en appel.

«Je suis heureux que tout cela soit maintenant derrière nous. Tout cela a été très bouleversant pour la famille», a dit Jean-Michel, le petit-fils de Réjean Hinse, qui parle de son grand-père comme de son modèle.

«Mon père aurait pu se révolter contre le système, mais il n'a jamais cessé de suivre le cours de la justice et de faire ce que l'on réclamait de lui. Il a fait preuve d'une rare détermination», estime son fils, Christian.

Son combat a été «titanesque, colossal», a résumé l'un de ses avocats, Alexander De Zordo.