Expulsé il y a trois ans du Canada et actuellement détenu aux États-Unis, l'imam Saïd Jaziri présente ses excuses à la communauté québécoise et promet qu'il prêchera un islam modéré dans sa mosquée montréalaise si les autorités de l'immigration l'autorisent à revenir au Québec.

«Comme j'étais un imam controversé, je promets d'être un imam modéré.» Il dit avoir compris que que l'islam plus radical, «ça ne mène à rien». «Ça fait peur et cela fait du tort aux musulmans, entre autres parce que cela crée des conflits avec les communautés d'accueil.»

Dans une entrevue accordée à La Presse du centre de détention de la région de San Diego où il est détenu, Saïd Jaziri dit avoir beaucoup réfléchi depuis son départ forcé du Canada, vers la Tunisie, en octobre 2007.

«C'est vrai que j'ai commis des erreurs, je l'avoue. Peut-être parce que j'étais seul, mal entouré aussi.»

En filigrane, il laisse entendre qu'il aurait été influencé, sur le plan religieux, par des individus au programme plus radical. «Au début, j'étais modéré, mais j'ai dérapé. Le résultat de trop de tensions, de l'ignorance aussi.»

Célèbre pour ses propos enflammés et parfois provocateurs, l'imam croit que les choses se seraient peut-être passées autrement pour lui si le Québec à ce moment-là n'avait pas été plongé dans la tourmente des accommodements raisonnables qui ont abouti à la création de la commission Bouchard-Taylor. Il estime tout de même avoir servi de bouc émissaire idéal, en particulier des médias. «J'ai peut-être aussi été victime de préjugés.»

À Tunis, il dit avoir fait des recherches sur la religion «avec des imams réputés et qualifiés».

«J'espère publier cette étude. C'est une vision très modérée de l'islam. Une des conclusions que j'en tire est qu'il faut protéger la culture de la société d'accueil. C'est la société où tu vis. Tu dois la protéger.»

Pas d'argent au passeur

Saïd Jaziri a été expulsé vers Tunis par Immigration Canada à la suite d'une longue bataille judiciaire. Le Canada a révoqué son statut de résident après avoir découvert ses antécédents judiciaires, à Nice, en France au milieu des années 90. Antécédents que M. Jaziri n'avait pas déclarés.

«Arrivé à Tunis, j'étais vraiment confus, explique-t-il. je me demandais ce que j'avais fait de mal, alors que je pensais n'avoir fait que du bien au Québec. J'ai beaucoup appris du passé. Aujourd'hui, je voudrais présenter mes excuses à la communauté québécoise. Demander pardon, c'est un devoir. J'ai vécu dix ans et demi au Québec, les meilleurs moments de ma vie.»

L'imam Jaziri ne veut pas trop revenir sur sa vie en Tunisie pendant les dernières années et la situation politique actuelle. Il a quitté ce pays alors que la fronde contre le régime du président Ben Ali, renversé depuis, commençait à prendre de l'ampleur. Jaziri s'est envolé vers l'Amérique du Sud, puis est remonté vers le Mexique. Il a ensuite franchi illégalement la frontière dans le coffre de la BMW d'un passeur avant de se faire arrêter le 11 janvier par les douaniers américains près de San Diego. Saïd Jaziri nie farouchement toutefois avoir versé les 5000$ évoqués dans les procédures intentées contre lui.

«J'ai simplement demandé à des gens de me faire passer la frontière. Ça ne m'a rien coûté. Tout le monde sait que l'on ne paye rien si on se fait arrêter. Et que 90% des clandestins se font intercepter. Les Américains sont très bien équipés avec des avions, des patrouilles, etc.» Plusieurs journaux américains ainsi que la chaîne conservatrice Fox News ont relaté son arrestation en ne mâchant pas leur mots, qualifiant Jaziri d'extrémiste. Certains ont rapporté qu'il faisait partie d'une liste de 875 «illégaux d'un intérêt spécial» appréhendés à la frontière depuis 18 mois.

Formellement accusé d'être entré illégalement sur le territoire américain, Saïd Jaziri est détenu depuis dans une prison privée. Il est aussi considéré comme témoin dans les poursuites intentées contre ses passeurs. Mais il assure que tout est fini et qu'il termine actuellement des «formalités d'immigration», sans en dire plus. Il doit néanmoins quitter le territoire américain. Informations que La Presse n'a pu vérifier.

Saïd Jaziri souhaite toujours revenir au Canada, retrouver sa femme et ses deux enfants, qui habitent dans la région de Montréal et prêcher à nouveau dans sa mosquée montréalaise Al Qods. Son avocat Me Julius Grey a entamé des démarches devant la Cour fédérale pour faire annuler son interdiction de séjour pour des motifs humanitaires.

«M. Jaziri n'a pas de dossier criminel au Canada et l'aspect humanitaire du dossier est solide», insiste Me Grey. Celui-ci espère que les récents démêlés de son illustre client aux États-Unis ne viendront pas compliquer le processus. «Mais on peut comprendre qu'il était désespéré et prêt à tout pour se rapprocher de sa femme et ses enfants», estime Me Grey.

Si la Cour fédérale les déboute, ils devront alors obtenir le pardon du ministre de l'Immigration.