Il n'est pas surprenant que les prédateurs sexuels récidivent aussi souvent: leur traitement ne va pas assez loin. Dans l'urgence de les arrêter, on ne s'intéresse qu'à leurs symptômes, et on oublie de s'attaquer au manque fondamental qui les habite.

C'est là l'opinion du sexologue Alain Gariépy, qui espère changer les choses avec le Colloque international sur l'exploitation sexuelle des enfants et les conduites excessives. «Cette philosophie est assez nouvelle et ne fait pas l'unanimité, mais il faut se donner une base pour aller dans une direction commune», estime M. Gariépy, qui a organisé le colloque et préside l'Institut québécois de sexologie clinique.

«Si l'on ne fait pas de changement en profondeur, cela nous explosera dans les mains. La personne aura toujours les mêmes désirs et recommencera», dit-il.

Analyser les violences sexuelles sous l'angle plus large des «conduites excessives» revient plus précisément à reconnaître que, comme l'alcoolique qui boit pour masquer ses problèmes, le prédateur sexuel tente de combler un manque. Pour l'aider à changer, il faut résoudre cette carence. «Quand un adulte est attiré par un enfant, il faut se rappeler qu'il est attiré par ce qui lui est accessible. Un adulte de 30 ans qui a la maturité sexuelle d'un adolescent de 13 ans va vers quelque chose qui se situe à son niveau», illustre M. Gariépy, qui précise avoir enseigné cette approche dans plusieurs pays.

«Si une personne n'arrive pas à accroître sa maturité affective, si elle n'acquiert pas l'estime de soi requise pour aller vers une personne de son âge, elle conservera toujours son désir», prévient-il.

Même si aucun enfant n'est en cause, les récents scandales impliquant des politiciens italien, français ou américain montrent bien à quel point les apparences peuvent être trompeuses, souligne enfin le sexologue. «Dans plusieurs pôles de leur vie, ces personnes peuvent faire de belles réalisations mais, sur le plan sexuel, elles sont totalement inadéquates parce que leur personnalité sexuelle s'est mal construite.»

Hypersexualisation

Selon sa collègue Valérie Morency, qui donne également une conférence aujourd'hui, la même logique permet de comprendre pourquoi plusieurs adolescents ont une sexualité exacerbée. «Il faut regarder au-delà des comportements qui nous choquent et se demander pourquoi ils font ça, dit-elle. Lorsque l'être humain est en déséquilibre affectif, il peut se réfugier dans l'excès sexuel. Cela comble un vide et lui évite de vivre un mal-être désagréable.»

D'après cette spécialiste en éducation à la sexualité, ces jeunes manquent souvent d'encadrement. «Il faut cesser de les traiter comme de petits adultes et de les croire plus mûrs qu'ils ne sont. Quand on ne leur met pas de limites, ils sont déboussolés. Ils ont l'impression que leurs parents s'intéressent peu à eux et ils veulent obtenir de l'attention.»

L'adolescente qui se comporte ainsi parviendra parfois à attirer le garçon qu'elle convoite. «Mais puisqu'elle manque de confiance en elle, elle se retrouvera souvent victime de violence psychologique dans sa relation», observe Mme Morency.

Petits, les enfants ont besoin d'être valorisés et de passer du temps avec leurs parents, conseille la sexologue. Lorsqu'ils vieillissent, il est temps de leur donner des repères puisque leur inexpérience les rend vulnérables aux images dont ils sont bombardés. «Même les fameuses poupées Bratz ont les lèvres pulpeuses, les yeux maquillés, des jupes très courtes, des bottes à talons hauts et des chandails qui révèlent le ventre. Elles ne sont pas habillées pour jouer dans la cour d'école», illustre Mme Morency.

Pour éviter le «dérapage sexuel», il faut stimuler le sens critique des filles et des garçons, dit-elle, en prenant soin de préciser que tous ne tombent pas dans le panneau. D'après son expérience (elle donne des ateliers de santé sexuelle dans les écoles depuis une dizaine d'années), environ le tiers des 12-17 ans le font. Et tout ne dépend pas de l'industrie du sexe. «La mode joue aussi un rôle. Les adolescentes s'habillent comme cela pour la suivre, parce qu'elles trouvent ça beau.»

Durant le colloque, qui se poursuit jusqu'à jeudi, il sera aussi question de cyberprédation, de pornographie juvénile, de tourisme sexuel, de traite d'enfants, etc. Dans le monde, deux millions d'enfants sont forcés de se prostituer ou de se prêter à la production de matériel pornographique, selon les données de l'UNICEF, qui avait subventionné les trois premiers colloques du genre (en 1996, 2001 et 2008).