La mère de Nathalie Morin s'inquiète pour sa fille, enfermée par son mari en Arabie Saoudite depuis cinq ans dans un appartement délabré avec leurs trois jeunes enfants. Elle est maintenant accusée de tentative d'enlèvement.

«Je dois essayer de sauver ma vie, elle est déjà finie, qu'est-ce qui pourrait m'arriver de pire qu'un procès au tribunal?»

Ce message désespéré est apparu sur le cellulaire de Johanne Durocher hier matin. Il venait de sa fille, Nathalie Morin, séquestrée depuis cinq ans en Arabie Saoudite.

Enfermée dans un appartement avec ses trois enfants, mal nourrie, coupée du monde et soumise aux quatre volontés d'un mari abusif, la Québécoise de 27 ans croyait avoir atteint le fond du baril. Mais à la suite d'une série de péripéties dignes d'un mauvais thriller, elle vient d'apprendre qu'elle pourrait de plus devoir faire face à la justice saoudienne, qui lui reproche d'avoir tenté de fuir avec ses enfants.

«La police veut me juger au tribunal pour tentative d'enlèvement d'enfants. Je vais avoir ma date de procès dimanche, lors de ma première comparution en cour», écrit-elle dans un autre SMS.

Que s'est-il donc passé pour que cette femme, qui n'a pas le droit de sortir de son appartement sans l'autorisation de son mari, se retrouve au poste de police lundi soir? Deux jours plus tôt, son mari, Saïd al-Shahrani, avait quitté leur appartement de Dammam, à cinq heures de route de la capitale, pour assister à un mariage dans une autre région du pays. Il devait rentrer à la maison aujourd'hui.

Nathalie Morin avait peu de provisions pour nourrir ses trois enfants, âgés de 2 à 8 ans, pendant cinq jours.

À l'autre bout de la planète, Johanne Durocher a voulu se porter au secours de sa fille. Elle a fait appel à l'écrivaine et féministe saoudienne Wahija al-Huwaider, qui a déjà, par le passé, aidé Nathalie Morin. Sa mission: apporter 300$ et aider Nathalie Morin à faire des courses.

Lundi, Wahija al-Huwaider s'est donc présentée devant l'appartement délabré de Nathalie Morin. Elle était accompagnée d'une amie. À l'aide d'une clé fabriquée secrètement par Johanne Durocher lors de sa dernière visite en Arabie Saoudite, la jeune Québécoise a pu sortir de l'appartement avec les trois enfants.

Dans la rue, elle est s'est retrouvée devant une auto de police... et son mari. «Remonte dans l'appartement», lui a-t-il crié.

Wahija al-Huwaider et son amie ont été longuement interrogées au poste de police. Selon un article paru dans The Saudi Gazette, les policiers les accusaient d'avoir voulu aider Nathalie Morin à fuir avec ses enfants. La jeune Québécoise a fini par être interrogée elle aussi. Et c'est là qu'elle a appris qu'elle serait poursuivie pour tentative d'enlèvement.

«Nous avons voulu aider Nathalie parce qu'elle nous avait dit qu'elle manquait d'eau et de nourriture, et que son mari avait quitté la maison sans laisser de provisions», raconte Wajiha al-Huwaider dans un courriel envoyé à des amis, après sa libération.

«À l'instant où nous sommes arrivées pour lui donner l'argent, une auto de police est apparue et son mari était à l'intérieur», poursuit la militante saoudienne. Selon elle, il s'agissait d'une mise en scène, d'un «piège soigneusement préparé» par le mari de Nathalie Morin.

Aider de loin

Que cherche exactement Saïd al-Shahrani? En 2009, il avait déjà offert de laisser partir Nathalie Morin et les enfants en échange de 300 000$. Ottawa avait rejeté l'offre. Qu'espère-t-il aujourd'hui?

«Ce qui est lisible de ses intentions est très instable, mais il semble vouloir tirer un avantage de sa femme et de ses enfants», analyse le député Amir Khadir, qui tente d'aider Nathalie Morin.

Ce qui est clair, c'est que Nathalie Morin se retrouve plus vulnérable qu'elle ne l'a été depuis longtemps. Au fil des ans, sa mère a remué ciel et terre pour améliorer son sort. Elle a réussi à lui fournir un cellulaire à l'insu de Saïd. Une fois, elle lui a envoyé une carte d'appel rechargeable par internet, cachée au fond d'une boîte de vitamines.

Et lors de sa dernière visite, elle était parvenue à faire un double de la clé de l'appartement, à n'utiliser qu'en cas d'extrême urgence. Tous ces subterfuges viennent d'être mis au jour. Et Johanne Durocher se ronge d'inquiétude pour sa fille, qu'elle ne peut plus joindre au téléphone que selon le bon vouloir de son gendre.

Le désespoir

Nathalie Morin a rencontré Saïd al-Shahrani à 17 ans, dans une pizzeria de Montréal. Un mois plus tard, elle est enceinte. Le couple décide de se marier, mais à la dernière minute, la jeune femme ne se présente pas au mariage. Saïd finit par être expulsé du Canada pour une histoire d'agression. De loin, il regagne le coeur de Nathalie Morin, qui finira par le rejoindre en Arabie Saoudite avec leur fils aîné, Samir.

Ensemble, ils auront un autre fils, puis une fille. Les relations du couple se détériorent. Saïd est violent, il frappe Nathalie.

Depuis que leur histoire a fait les manchettes, en 2009, il ne touche plus aux enfants. Il a aussi autorisé Samir à aller à l'école, mais pas à jouer avec des amis, raconte Johanne Durocher. Celle-ci a aussi obtenu de pouvoir envoyer 100$ par semaine à sa fille pour payer sa nourriture et celle de ses petits-enfants. C'est peu, mais c'est mieux qu'avant. Saïd, lui, a l'habitude de manger au restaurant...

Le problème, c'est que, si le traitement que Saïd inflige à sa femme est inadmissible au Canada, il est parfaitement légal en Arabie Saoudite, où les femmes sont considérées comme des mineures soumises à l'autorité masculine.

Après cinq ans de cette vie, Nathalie Morin est de plus en plus abattue. «Elle se sent traitée comme un animal. Elle est tellement convaincue que personne ne va l'aider qu'elle n'y croit plus», se désole Johanne Durocher.

Et maintenant, il y a cette menace de poursuite. Que risque-t-elle, au juste? Impossible de le prévoir, selon Ali Alyani, du Centre pour la démocratie et les droits de la personne en Arabie Saoudite, à Washington. «Le système judiciaire saoudien est totalement arbitraire, tout dépend du juge.»

La justice saoudienne n'a pas l'habitude de traiter les femmes avec des gants. Actuellement, une femme est emprisonnée parce qu'elle s'est rendue dans un ministère sans son tuteur mâle, rappelle Shahla Khan Salter, présidente de l'organisme Muslims for Progressive Values, à Ottawa.

Mais il est tout aussi possible que les accusations soient abandonnées, ou que Nathalie Morin soit simplement renvoyée au Canada. Sans ses enfants.

Photo: La Presse

Le trois enfants du couple. L'aîné, Samir, est né au Québec. Nathalie Morin et Saïd al-Shahrani auront leur autre fils, puis leur fille en Arabie Saoudite.