Dans les dernières années, les diplomates américains en poste à Ottawa ont suivi avec une attention particulière les dossiers de plusieurs Canadiens, en particulier montréalais, qui ont été soupçonnés de liens avec la mouvance terroriste islamiste et, dans certains cas, visés par un certificat de sécurité, révèlent plusieurs documents obtenus par WikiLeaks.

Du démantèlement d'une cellule terroriste à Toronto au cas Omar Khadr, en passant par celui de Saïd Namouh («le terroriste de Maskinongé») et les déclarations de l'ex-patron du SCRS qui dénonce l'angélisme des Canadiens à l'égard de la lutte contre le terrorisme, ce ne sont pas les sujets d'intérêt qui manquent.

Certificats de sécurité

Mais les auteurs de ces câbles diplomatiques remis par WikiLeaks à La Presse se sont concentrés sur les certificats de sécurité délivrés dans le cas de cinq personnes, dont Adil Charkaoui. Le Montréalais tient une grande place dans ces documents en raison des multiples démarches judiciaires le concernant.

Les diplomates usent de prudence dans leurs écrits, y compris lorsqu'ils résument le contenu de la preuve produite contre ces cinq hommes. En revanche, le ton change après la révocation du certificat de sécurité d'Adil Charkaoui, et l'on devine leur préoccupation. Dans un document intitulé: Les certificats de sécurité ont subi un coup majeur, rédigé en octobre 2009, les Américains remarquent que le gouvernement fédéral a expurgé (black out) de son dernier résumé certains de ses éléments de preuve contre le Montréalais, du «matériel obtenu directement de lui», précise-t-on.

Le diplomate décrit la victoire d'Adil Charkaoui comme l'«effondrement de l'un des dossiers les plus médiatisés». Selon lui, le «recul majeur» de cette disposition «controversée» compromet la capacité du Canada de maintenir la validité des autres certificats devant les tribunaux. Notons que celui de Hassan Almreï a depuis aussi été révoqué.

Ottawa et Abdelrazik

L'autre personne qui retient l'attention des diplomates américains est Abousfian Abdelrazik.

Ce Montréalais est resté bloqué six ans au Soudan, son pays natal, dont plus d'une année à l'ambassade du Canada à Khartoum. Il est revenu à Montréal le 27 juin 2009, après que le gouvernement fédéral eut été contraint de le rapatrier. Opération délicate puisque l'ONU a inscrit Abousfian Abdelrazik sur la liste des individus soupçonnés de terrorisme ou de liens avec les talibans (résolution 1267).

On savait déjà que les États-Unis avaient exigé que les Canadiens leur fournissent des renseignements secrets qui leur auraient permis d'accuser Abdelrazik aux États-Unis. Mais un autre document marqué «secret» fait état de l'inquiétude et même du stress des fonctionnaires canadiens, qui tiennent à savoir si les Américains ont l'intention de «faire activement ou passivement obstruction à l'embarquement d'Abdelrazik au Soudan ou au moment des correspondances suivantes». On comprend que cela englobe l'éventualité d'une arrestation.

Le Canada a aussi sollicité l'aide de Washington au cas où la compagnie aérienne consulterait les États-Unis pour savoir quelle conduite adopter avec Abdelrazik.

L'auteur du câble suggère de répondre que la décision de le rapatrier appartient au Canada, «État souverain», et que les «États-Unis ne feront pas obstacle à son rapatriement, pas plus qu'ils ne l'aideront». Mais on demande à Ottawa de «prendre les mesures appropriées» afin que le Montréalais «ne mette pas en danger les États-Unis et leurs habitants».

La note dit aussi que le ministère des Affaires étrangères a «promis» de communiquer aux Américains les renseignements concernant les vols que prendrait Abdelrazik.

À ce jour, Abousfian Abdelrazik est toujours inscrit sur la liste noire de l'ONU. Ses avoirs sont gelés et il ne peut pas toucher de salaire, ni même les allocations familiales de la RRQ pour ses deux enfants. Il poursuit aussi le gouvernement fédéral ainsi que l'ex-ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon pour 27 millions de dollars.