Le Playground Poker Club, ouvert en décembre dernier à Kahnawake, connaît un succès qui ne se dément pas. Pour s'imposer comme «la» référence poker à Montréal, mais aussi au Canada, le salon n'hésite pas à mettre les bouchées doubles à partir de maintenant, il accueille les joueurs jour et nuit, tous les jours de la semaine, au nez et à la barbe de Québec, qui juge toujours la pratique illégale.

Au bord de la route132, en direction de Châteauguay, les panneaux ne trompent pas le Playground Poker Club est proche. Impossible de rater le complexe, qui abrite un salon de poker et un restaurant, The Rail. Près de l'entrée, un camion publicitaire trône en permanence. Peint sur sa carrosserie, le mantra de la maison le club pour les joueurs de poker, par les joueurs de poker.

Né aux derniers jours de 2010, quelques mois après la fermeture de l'Okwari Poker Palace, le Playground connaît un succès retentissant auprès des joueurs. Et pour cause le propriétaire, Bobby Delaronde, est l'un d'eux. On y a vu les champions Éric Cajelais et Mike McDonald. En septembre, 10 hockeyeurs de la LNH participeront à un tournoi. Sur son site internet, le Playground met cartes sur table et revendique le titre de meilleure salle de poker au Canada. Rien de moins.

Il faut dire qu'ici, les clients sont traités aux petits oignons. Installés aux tables, dans un décor flambant neuf tout en noir, amateurs et professionnels bénéficient d'un service cinq étoiles. De jeunes serveuses aux formes généreuses leur apportent alcool et nourriture, offerts gratuitement aux tables de cash game, et elles offrent même au besoin un massage sur chaise à ceux que le jeu aurait rendus nerveux.

Amener le poker à un autre niveau

Le Playground n'est pas le premier salon de poker à voir le jour à Kahnawake. Le Four Aces et le Snakes ont aussi connu leurs heures de gloire depuis leur ouverture, en 2007. Mais la popularité du Playground brouille les cartes. Dans les derniers mois, le Four Aces a fermé ses portes et le Snakes semble perdre la faveur des habitués. «On porte le concept à un autre niveau», dit David Montour, gérant du Playground.

Le salon vise non seulement la clientèle montréalaise, mais aussi les touristes canadiens, américains et européens. Depuis 2001, la Kahnawake Gaming Commission (KGC), qui régule le secteur du jeu dans la réserve, autorise les salles à ouvrir en continu. Le Playground a donc obtenu son permis sans difficulté. Après tout, son concurrent direct ouvre lui aussi en continu, explique la KGC. Et son concurrent, c'est le Casino de Montréal.

Mutisme à Québec

Au Québec, seuls les casinos d'État sont légaux. Pourtant, aucune poursuite n'a jamais été engagée contre les établissements de poker de Kahnawake. Pourquoi? Les différents ministères se renvoient la balle. Loto-Québec estime que son rôle n'est pas de faire appliquer la loi. Le ministère de la Justice estime que la question relève du ministère de la Sécurité publique. Du côté de la Sécurité publique, on renvoie l'affaire au bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, lequel assure qu'elle ressortit à... la Sécurité publique. Bref, la question reste sans réponse.

Pendant ce temps, de l'autre côté du pont Mercier, il ne fait aucun doute que le secteur du jeu relève des autorités locales. Depuis la naissance de la KGC, en 1996, Québec n'a donné aux Mohawks aucune raison de croire le contraire. «Le gouvernement du Québec ne nous a jamais interpellés à ce sujet en 14 ans. Ce serait étonnant que ça change maintenant», constate David Montour.

Main heureuse à Kahnawake

Lors de deux référendums, en 1994 et en 2003, la communauté s'est prononcée contre l'ouverture de casinos dans la réserve. Mais les projets d'établissements de jeu ont cependant été nombreux au cours de la dernière décennie. En plus du jeu en ligne et des salons de poker, la réserve, où vivent près de 8 500 personnes, a depuis peu sa propre loterie privée, l'Ohwista Lottery. La KGC ne l'a pas encore approuvée, mais les discussions avec l'entrepreneur ne sont pas rompues.

«Nous sommes très fiers de ce que nous avons accompli. On a fait du jeu en ligne un succès, alors qu'Ottawa et Québec disaient qu'on n'avait pas le droit de le faire. Mais comme on fait bien les choses, des clients du monde entier nous font confiance. Ne croyez pas qu'ils ne savent pas que le Québec et le Canada ne sont pas d'accord avec nous. Mais ils savent que nous faisons bien les choses. Nous misons là-dessus», dit Joe Delaronde, porte-parole du conseil de bande.

Crispations

À Kahnawake, l'ouverture en continu du Playground Poker Club s'est faite sans heurts. Publiquement, du moins. Derrière les portes closes, le portrait est tout autre, assure Jeremiah Johnson. À 33 ans, le jeune entrepreneur se fait le porte-parole de ceux qui n'osent pas critiquer tout haut l'essor d'une industrie privée du jeu sur la réserve. Et qui, comme lui, sont choqués par les urinoirs Playground, en forme de bouche féminine, rouge et pulpeuse un affront aux traditions matriarcales des Iroquois, selon lui.

«La communauté n'aime pas ça, parce qu'elle n'en bénéficie pas. Ces établissements appartiennent à des hommes d'affaires qui gagnent de l'argent pour eux-mêmes. Ici, nous n'en voyons pas la couleur. Si vous êtes assez chanceux pour être riche, vous pouvez ouvrir votre salon de poker ou votre loterie, mais les autres n'en profitent pas», estime Jeremiah Johnson.

À l'abri de l'impôt, les retombées d'un établissement privé comme le Playground à Kahnawake restent minimales ou, pour le moins, floues. Le Playground commandite volontiers les activités locales et ouvre ses portes aux tournois-bénéfice de la réserve. Le conseil de bande ne peut chiffrer les retombées de ce salon sur la communauté. Une contribution doit être versée à la KGC, mais elle ne semble pas dépasser quelques dizaines de milliers de dollars par an.

L'essor de l'industrie du jeu témoigne aussi d'une «paresse», croit Jeremiah Johnson. «On peut faire mieux que légaliser le jeu, vendre des cigarettes et profiter de la dépendance des autres. Ça, c'est la voie facile.»

Les autorités croient malgré tout que les Mohawks tolèrent de plus en plus le jeu. L'idée d'un casino géré par la communauté est loin d'être abandonnée et pourrait bientôt refaire surface. «La porte ne se ferme jamais complètement là-dessus», affirme Joe Delaronde. Le conseiller juridique de la KGC, Murray Marshall, balaie les réticences d'un revers de main «Nulle part il n'y a d'opinion unanime sur un sujet pareil. Mais nous écoutons les gens et nous faisons de notre mieux pour que tout se passe bien.»

Photo: Hugo-Sebastien Aubert, La Presse

***

Cash games  et tournois

Dans un cash game (jeu d'argent), le joueur peut toujours racheter des jetons et n'est jamais obligé de quitter la table, contrairement aux règles en vigueur dans un tournoi. Au Québec, les casinos d'État offrent tournois et jeux d'argent. Le Code criminel prévoit toutefois une peine maximale de deux ans de prison pour les personnes coupables de tenir une maison de jeu. Si les tournois et parties entre particuliers sont tolérés, les profits que pourrait faire un établissement grâce à une activité liée au jeu sont illégaux.