Dans le sous-sol d'un duplex de Longueuil, une femme nous accueille dans sa garderie. Des panneaux colorés enseignent l'alphabet aux enfants. Elle discute avec enthousiasme des petits dont elle a la garde. Puis, elle nous parle des conditions dans lesquelles elle travaille depuis plusieurs mois.

«À côté, c'est tous des "consommeurs" de drogue. Ils s'assoient dehors, pis ça fume des joints à tour de bras... Est-ce que je peux envoyer mes enfants dehors, s'il vous plaît?»

La femme se dirige vers la fenêtre et exhibe un purificateur d'air qu'elle utilise pour masquer les odeurs de drogue et de tabac. Elle veut déménager. Les boîtes s'empilent dans la pièce consacrée à la garderie, mais elle s'occupera encore de trois enfants, pendant deux mois, dans cet environnement qu'elle dénonce elle-même.

La Presse a rencontré incognito cette responsable d'une garderie en milieu familial. Pour avoir accès à 18 garderies, notre équipe s'est présentée comme un couple à la recherche d'une place pour une fillette de 2 ans. L'objectif: vérifier sur le terrain l'état d'un système parallèle aux garderies subventionnées, en pleine expansion.

Depuis le mois de janvier, le ministère du Revenu du Québec rembourse, chaque mois, jusqu'à 75% des frais de garde en milieu privé. Une aide financière bienvenue pour les ménages qui n'ont pas accès aux places à 7$. Or, les garderies privées en milieu familial donnent elles aussi droit à un remboursement anticipé du gouvernement. Dans les petites annonces, elles se présentent comme des «garderies», mais elles ne font l'objet d'aucune inspection, d'aucune vérification.

Résultat: les places à 20 ou 30$ par jour dans ces garderies trouvent preneur très rapidement. Surtout en milieu défavorisé.

Locaux surchauffés, gardiennes dépassées

Il est 11h, par une rare journée ensoleillée de ce mois de mai. Dans le quartier Côte-des-Neiges, une femme nous attend. Elle nous ouvre la porte de son appartement de cinq pièces, dans lequel elle garde quatre enfants.

À l'intérieur, on circule difficilement entre les enfants et les jouets tant l'espace est restreint. La télévision joue. Les rideaux sont tirés. Il fait chaud.

Une fillette de 4 ans tente de rouler dans le salon avec un tricycle, mais elle peine à faire un tour complet de pédalier. Elle se décourage, puis entreprend de grimper dans une bibliothèque pour atteindre un jouet. La dame qui tient la garderie n'intervient pas.

Pendant ce temps, un bébé à quatre pattes extirpe un jouet coincé dans des fils électriques, sous le piano. Un autre poupon pleure.

Dans la cacophonie, la propriétaire nous explique qu'elle compte accueillir deux autres enfants dans sa garderie. Assise sur le canapé, elle passe le plus clair de l'entretien à s'éponger le front. Elle parle français avec difficulté.

Dangers immédiats

Nous avons trouvé les garderies que nous avons visitées dans des sites internet consacrés aux services de garde, ou encore dans les petites annonces. La plupart des femmes gestionnaires des garderies possèdent une courte formation en puériculture et un cours de premiers soins. Dans plusieurs domiciles, les enfants profitent d'une éducatrice dynamique et d'un environnement sain. Néanmoins, le portrait global est inégal.

Prise de courant à découvert juste au-dessus du coffre à jouets, chaise haute et jouets entremêlés dans des fils électriques, produits de nettoyage à portée de main, surveillance déficiente: dans 11 garderies, les dangers potentiels sont flagrants.

Dans une maison près de l'Université de Montréal, une femme discute avec nous au salon. Nous l'interrogeons. «Vous gardez quatre enfants?

- Oui.

- Et ils ont tous moins de 18 mois?

- Oui.»

La gardienne tient sa fille dans ses bras, et un bébé joue au salon. Nous demandons où sont les deux autres. Ils sont seuls avec un chien sur la terrasse, dont l'escalier, abrupt, n'est bloqué que par un vélo.

Quand il nous voit arriver, un des enfants tend les bras pour qu'on le prenne. Nous nous tournons vers la gardienne, qui ne réagit pas. Le petit insiste, il veut être cajolé. Devant l'inaction de la dame, après de longues minutes, nous le prenons nous-mêmes. Il reste blotti dans nos bras jusqu'à notre départ.

«Ce n'est pas la garderie que vous cherchez»

Que la maison soit impeccable ou non, la majorité des propriétaires de garderie ouvrent toutes grandes leurs portes aux clients potentiels. Dans un appartement de Rosemont où jouaient cinq enfants, nous avons toutefois été escortés vers la sortie après avoir demandé à voir... les toilettes.

«C'est privé», a répondu le mari. Il n'est pas responsable des enfants, mais il mène l'entrevue.

Devant notre insistance à visiter l'intégralité des lieux où circulent les enfants, il a mis fin à la discussion. «Malheureusement, ce n'est pas la garderie que vous cherchez. Le monde comme ça, on n'en voudrait pas», a-t-il dit avant de nous diriger vers la porte.

Il ajoute que jamais des parents n'avaient demandé à voir la salle de bains. «C'est une question de confiance», a-t-il dit. Sa femme a toutefois la responsabilité de cinq enfants, tous en âge d'utiliser les toilettes.