La Ville de Carignan brime les droits fondamentaux de ses citoyens en interdisant à l'avance une manifestation, ce qui ne s'est pas vu au Québec depuis des décennies, selon un expert.

Au début du mois, lors de la dernière séance du conseil municipal, la mairesse de la ville de 8000 habitants, Louise Lavigne, a signifié qu'elle ne permettrait pas une marche pacifique des opposants au projet de règlement de zonage de la Ville.

Résultat: la marche aura quand même lieu comme prévu, dimanche prochain, mais dans la ville voisine de Chambly.

«On a fait une demande à la Ville pour faire une marche pacifique contre la construction dans les milieux humides et milieux naturels, dit Claude Savoie, de l'organisme Nature Carignan. On voulait être le plus respectueux possible. La mairesse a complètement refusé, pour des raisons de sécurité publique.»

La position de la Ville est indéfendable, selon Pierre Trudel, professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal et spécialiste de la liberté d'expression.

«En principe, la liberté de manifester pacifiquement est reconnue par l'article 2b de la Charte canadienne des droits et libertés, dit-il. Mais même avant la Charte, les tribunaux n'ont jamais dit qu'une ville avait le droit d'interdire une manifestation.»

«Depuis la fin de l'époque du maire de Montréal Jean Drapeau, on ne voit plus cela», ajoute M. Trudel.

Un débat intense agite la municipalité depuis quelques mois. Des citoyens ont forcé la tenue d'un référendum le 2 octobre après avoir contesté deux projets de réglementation. Les citoyens s'opposent au lotissement de plusieurs milieux naturels appartenant à des promoteurs immobiliers.

La Ville rétorque qu'elle n'a pas les moyens d'exproprier ces terrains et qu'elle veut densifier la ville. Carignan a un règlement qui «interdit à toute personne [...] de participer ou prendre part, de quelque façon que ce soit [...] à un attroupement, réunion désordonnée dans ou sur un endroit public».

«On ne peut invoquer ce règlement pour interdire une manifestation qui n'a pas encore eu lieu, dit M. Trudel. Si la manifestation n'a pas encore eu lieu, il est difficile de prétendre qu'elle est désordonnée.»

En entrevue à La Presse hier, la mairesse Lavigne s'est défendue de vouloir brimer la liberté d'expression des citoyens.

«La liberté d'expression, s'il y a des gens qui l'ont eue à Carignan, c'est bien les opposants, dit-elle. Ils parlent pendant deux heures aux assemblées du conseil et on les écoute toujours. Je ne veux pas bâillonner les gens.»

Elle affirme qu'elle veut éviter qu'il y ait de «l'intimidation» dimanche prochain, lorsque se déroulera le vote par anticipation en prévision du référendum du 2 octobre.

Elle souligne aussi qu'il n'y a «pas de trottoir» à Carignan, et que la manifestation bloquerait la circulation automobile.

Un conseiller municipal indépendant, René Fournier, cité dans le site web ChamblyExpress.ca, affirme que «la population vient de perdre son droit le plus élémentaire en démocratie: celui de s'exprimer».