Les grands chantiers du Québec ont été désertés lundi par leurs ouvriers, alors que la commission parlementaire sur le projet de loi visant à abolir le placement syndical s'ouvrait à Québec. Si les syndicats prétendent que cette vague de débrayages est un mouvement «spontané» des travailleurs, tout semble indiquer qu'il s'agit d'une action concertée.

Les grèves ont débuté tôt lundi matin sur une multitude de chantiers partout au Québec, dont le grand chantier hydroélectrique de La Romaine, sur la Côte-Nord.

À Montréal, les travaux du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) et du Centre universitaire de santé McGill ont été interrompus en matinée. Même scénario sur la Rive-Sud, sur le chantier du quartier DIX30.

Vers 7h, environ 200 travailleurs ont bloqué l'entrée du chantier du CHUM, rue Saint-Denis. «On ne parlera pas aux médias parce qu'il n'y a rien d'organisé. S'il n'y a rien d'organisé, on ne sera pas mis à l'amende», a fait valoir un des travailleurs. Plusieurs de ses confrères ont affirmé vouloir empêcher la progression des travaux toute la semaine.

À Montréal, des syndiqués ont établi leur quartier général à la salle de réception Le Rizz, à l'angle du boulevard Langelier et de la rue Jarry. L'un des responsables a martelé qu'il s'agissait d'un rassemblement «spontané». Or, la réunion dans laquelle La Presse s'est introduite semblait indiquer tout le contraire. Au micro, ce même responsable avait demandé, quelques minutes plus tôt, à un groupe d'environ 20 travailleurs d'aller relever des ouvriers sur un chantier, à l'angle du boulevard René-Lévesque et de la rue De Bleury. D'autres ont ensuite été dépêchés à Boucherville.

Selon le témoignage de plusieurs ouvriers et entrepreneurs, cette façon de faire a été vue sur les chantiers un peu partout dans la province.

Les travailleurs qui font la grève font partie des deux plus importants syndicats de l'industrie, la FTQ-Construction et le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) (CPQMC-I). Les deux syndicats représentent 110 000 travailleurs, les trois quarts des ouvriers du Québec.

Les locaux de la CCQ pris d'assaut

Le projet de loi 33 vise à retirer aux syndicats la possibilité de placer eux-mêmes leurs membres sur les chantiers. La tâche serait confiée à la Commission de la construction du Québec (CCQ), un organisme public qui relève du gouvernement du Québec. La ministre du Travail, Lise Thériault, veut ainsi mettre fin à l'intimidation qui a cours sur des chantiers et empêcher l'embauche de plus d'ouvriers que nécessaire. Il vise aussi à retirer un des deux sièges de la FTQ-Construction et un des deux sièges du CPQMC-I du conseil d'administration de la CCQ pour les accorder à de plus petits syndicats.

Vers 10h30, des travailleurs ont investi les locaux de la CCQ, rue Jean-Talon, forçant des centaines d'employés à quitter les lieux. La police de Montréal a ouvert une enquête sur le bris de vitrines.

La présidente de la CCQ, Diane Lemieux, a condamné les actes de «vandalisme» et d'«intimidation». Elle a fait appel aux responsables syndicaux pour qu'ils agissent afin de stopper les débrayages.

«Quand on a une rivière à traverser, la pire chose à faire, c'est de brûler les ponts», a-t-elle déclaré avant son passage en commission parlementaire. Elle affirme qu'une centaine de plaintes ont été déposées à la CCQ.

La FTQ se défend, le CPQMC-I reste muet

Les moyens de pression concertés sont illégaux, puisque la convention collective des travailleurs est toujours en vigueur. Les syndicats qui paralysent illégalement les chantiers s'exposent à des amendes pouvant atteindre 70 000$ par jour. Les travailleurs peuvent aussi écoper de sanctions.

La FTQ s'est défendue, lundi, d'avoir donné un mot d'ordre à ses travailleurs. «Je peux vous assurer d'une chose: c'est ni moi ni la FTQ qui a organisé ça. J'arrive d'Europe et j'ai passé la fin de semaine au lit avec une sinusite épouvantable», a affirmé le président de la FTQ, Michel Arsenault.

«Il y a un projet de loi qui est très injuste envers les travailleurs de la construction et leur syndicat. La FTQ-Construction a informé, la semaine passée, ses membres des injustices de ce projet de loi, et il y a énormément de mécontentement et de colère chez les travailleurs de la construction», a soutenu M. Arsenault.

«S'il y a des accusations, on se défendra devant les tribunaux, comme on l'a toujours fait. On vit dans une société de droit et s'il y a des employeurs qui pensent que ç'a été fomenté par des syndicats, on se défendra au moment opportun», a ajouté M. Arsenault.

Le CPQMC-I ne répond ni aux appels ni aux courriels de La Presse depuis deux jours.

De son côté, le Conseil du patronat du Québec affirme avoir pris contact avec quelques entrepreneurs pour avoir une idée des coûts engendrés par cet arrêt de travail. Selon son enquête, «des pertes de 1,2 à 1,3 million de dollars par jour de travail» seront essuyées dans le cas d'un seul de ces entrepreneurs.

«Tous les employeurs consultés ont demandé de garder l'anonymat pour ne pas faire l'objet de représailles. Cette simple requête démontre à quel point les employeurs sont pris en otage par le système de relations de travail dans l'industrie de la construction», estime le président du Conseil du patronat, Yves-Thomas Dorval, dans un communiqué.

Avec Isabelle Audet et La Presse Canadienne