Le premier ministre Jean Charest ne sera plus seul à parcourir le monde pour parler du Plan Nord. Un chef innu de la Côte-Nord le fera lui aussi. Mais ce sera pour dénoncer le projet.

Insulté par l'offre «ridicule» du gouvernement, le chef du conseil des Innus de Pessamit, Raphaël Picard, a décidé de lancer une campagne internationale contre le Plan Nord. Il laisse également planer la menace de bloquer la route 138 et d'empêcher la réfection de la 389, entre Baie-Comeau et Fermont. Il réclame 5 milliards de dollars en 50 ans pour sa communauté de 4000 habitants. Québec lui propose 14 fois moins, 350 millions.

M. Picard a rompu les négociations avec Québec vendredi. Les pourparlers avaient été lancés le 12 juin, à la suite d'un blocus de la route 138, qui relie la Côte-Nord au reste de la province. Ils visaient à régler plusieurs griefs de la communauté de Pessamit envers Québec.

Le gouvernement Charest a mis sur la table 350 millions sur une période de 50 ans, dont 113 millions à titre de compensation pour les dommages causés entre autres par le développement hydroélectrique. Le reste est destiné à la création d'un fonds de développement économique, à raison de 4,5 millions par an. L'offre prévoit d'autres mesures non financières. En contrepartie, Pessamit devait accorder une quittance et abandonner ses recours judiciaires.

Or, le chef Picard exige 5 milliards en 50 ans à titre de compensation et de fonds pour le développement. En conférence de presse, hier, il a longuement décrit le «viol» du territoire ancestral des Innus de Pessamit survenu au cours des 60 dernières années, avec les développements hydroélectrique, forestier et minier. L'exploitation des ressources naturelles sur ce vaste territoire a rapporté gros, a-t-il fait valoir. Il estime par exemple qu'Hydro-Québec a engrangé des revenus de 45 milliards de dollars grâce à la vente d'électricité.

L'offre du gouvernement, «c'est peu, c'est frivole, c'est irrespectueux», a tonné M. Picard. «C'est dommage qu'il revienne encore avec une attitude coloniale [selon laquelle] il fallait montrer des couteaux, des haches, en échange de ballots de fourrure. C'est la même chose qu'ils veulent nous faire passer. Ils nous croient imbéciles. Ils nous considèrent comme des aliénés.»

Le chef qualifie le premier ministre Jean Charest de «plus mauvais menteur du Québec». Il l'accuse de faire «de la fausse publicité» en affirmant que les autochtones appuient le Plan Nord. Il répliquera en faisant «une tournée de plusieurs grandes villes américaines et européennes». Il soutiendra que Québec bafoue les droits des autochtones et que Jean Charest, «comme sous le régime Duplesssis, donne le minerai à des grosses entreprises». Il dit compter sur le soutien financier de groupes environnementalistes et de défense des autochtones.

Raphaël Picard promet également «des actions qui auront pour conséquence de perturber les activités économiques de la Côte-Nord». Des groupes pourraient bloquer la route 138, par exemple. M. Picard envisage de déposer une injonction afin d'empêcher la réfection de la route 389.

Quelques heures après la sortie du chef, le ministre responsable des Affaires autochtones, Geoffrey Kelley, a convoqué la presse pour déplorer l'échec des négociations. Les demandes du chef Picard sont «irréalistes», a-t-il tranché. L'offre du gouvernement est quant à elle «raisonnable» et comparable à des ententes de même nature conclues au Québec et dans d'autres provinces. Elle pourrait être bonifiée si la communauté de Pessamit accepte de conclure avec Québec un traité global concernant ses droits ancestraux, a-t-il souligné.

Jean Charest a rencontré le chef Picard trois fois depuis le 12 juin, alors que des séances de négociations ont eu lieu toutes les deux semaines. «Nous avons agi de bonne foi», a dit M. Kelley. Interrogé au sujet des menaces de blocus routiers, le ministre a rétorqué que les Innus doivent plutôt s'adresser aux tribunaux s'ils sont insatisfaits des négociations. Dimanche, par voie de communiqué, il s'est demandé «si la décision du chef Picard reflète la position de l'ensemble des membres de sa communauté». La remarque a fait bondir M. Picard, qui accuse le ministre de «s'ingérer dans la gouvernance» de la communauté.

Sur les 33 communautés autochtones habitant le territoire du Plan Nord, 26 appuient le projet, a précisé Geoffrey Kelley. C'est le cas des communautés cries, qui ont signé un traité global avec Québec. Cinq communautés innues s'opposent au Plan Nord, alors que deux l'approuvent.