«Je suis triste et j'ai peur.» Jean-Bernard Devilmé, 37 ans, est encore sous le choc; il doit être expulsé aujourd'hui vers Haïti, un pays qu'il a quitté il y a près d'un quart de siècle. Ses quatre enfants et sa femme, tous canadiens, sont effondrés.

«Je n'ai pas fait de violence sur personne, je n'ai pas d'armes à feu, je ne vends pas de drogue, je ne suis pas criminalisé... Je me disais que c'était impossible.»

Nulle trace de colère chez cet homme qui parle posément. Mais beaucoup d'incompréhension.

Son casier judiciaire n'est pas vierge; il a commis plusieurs infractions jusqu'au début des années 2000, mais ces délits sont mineurs et ses condamnations n'ont jamais excédé des paiements d'amende.

S'il a été interdit de territoire en 2003, il n'avait jamais fait l'objet de mesures de renvoi. Dès 2004, le Canada a limité ses renvois vers Haïti aux cas de criminalité, de danger pour la société et d'atteinte aux droits de l'homme.

Au lendemain du séisme du 12 janvier 2010, le Canada a également suspendu ces types de renvois, qui n'ont repris qu'au printemps dernier, sans annonce officielle. Depuis, 61 personnes ont été renvoyées, selon l'Agence des services frontaliers (AFSC).

Mais malgré l'interdiction, la vie de Jean-Bernard Devilmé a continué.

«Il ne s'est jamais caché, il y avait un moratoire», dit son avocate, Marie-Hélène Giroux.

Père de quatre enfants

M. Devilmé est père de quatre enfants, aujourd'hui âgés de 10 à 15 ans. Il est séparé de leur mère, mais est resté proche d'eux et, surtout, leur verse une aide alimentaire indispensable, selon son ex-conjointe.

Il s'est stabilisé, travaille dans la construction pour le même employeur depuis plusieurs années. Il mène une vie rangée avec sa femme, qu'il fréquente depuis huit ans.

«Je travaille tous les matins à 4h. Je ne sors même pas dans les bars, je vais seulement au restaurant ou au cinéma», dit-il.

Il pensait avoir payé sa dette jusqu'à ce qu'il apprenne, en novembre dernier, son renvoi, fixé à quelques jours seulement de Noël.

«C'est impossible! Je suis installé ici tellement confortablement... Je serais prêt à vivre avec n'importe quelle condition, pour qu'au moins on me laisse avec ma femme et mes enfants.»

Il secoue la tête, incrédule. «Si j'avais fait quelque chose de pas correct, je comprendrais. Mais là, je ne comprends pas.»

Vivre en Haïti? Ce n'est même pas une question, répond-il. Ses souvenirs de son pays natal se limitent aux tours de vélo qu'il faisait près de chez lui. Il avait 13 ans quand sa famille s'est installée aux États-Unis; ses parents y vivent toujours avec son plus jeune frère. Il est devenu résidant américain avant d'arriver au Canada, en 2001.

Détention

Jean-Bernard Devilmé ne sait toujours pas ce qui l'attend aujourd'hui, une fois qu'il se sera rendu à la frontière américaine. Sans titre de séjour américain valide, il sera expulsé vers Haïti, pays toujours en reconstruction, et passera plusieurs semaines en détention, comme le font là-bas tous les ressortissants ramenés après une expulsion.

«C'est un traitement épouvantable pour ceux qui sont expulsés, dit son avocate. Et une fois qu'ils sont passés en prison, ils espèrent survivre.»

«Être incarcéré avec des mercenaires, en plus des risques de maladie... Oui, j'ai très peur», dit M. Devilmé. À ces mots, sa femme, qui l'accompagne quand nous le rencontrons, ne parvient plus à retenir ses larmes, et quitte la pièce.

«Je m'inquiète encore plus pour elle que pour moi», se désole M. Devilmé.

Une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires et réunification familiale a été demandée. Mais le traitement de ce genre de demande, dont le résultat n'a rien de garanti, s'étale sur plus d'une année.

Son dossier de résidence est accompagné de lettres et témoignages de ses proches. Parmi eux, ses enfants.

«Sans père, je serai triste, car tout le monde a besoin d'un père. S'il part, je vais m'ennuyer à mort, mais il restera toujours dans ma tête, écrit son fils de 12 ans. Gardez mon père au Canada s'il vous plaît.»

Jean-Bernard Devilmé se sent pris au dépourvu. «Je prie beaucoup le Bon Dieu. Si je n'y croyais pas, je ne pourrais pas te parler», dit-il.