Les écoliers innus s'initient à l'alcool et au cannabis à l'âge moyen de 9,6 ans, selon une enquête dirigée par Myriam Laventure, professeure au département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke.

Mais, justement, il s'agit là d'une moyenne. Dans le cas du cannabis (ou marijuana), «l'écart type» est de 2,7 ans, ce qui signifie que quelques enfants ont commencé à en fumer à l'âge de 7 ans, a indiqué Mme Laventure au cours d'un entretien.

Les membres de son équipe de recherche ont interviewé 161 enfants de 9 à 12 ans qui fréquentent les écoles primaires de huit communautés innues de la Côte-Nord, de la Basse-Côte-Nord et du Labrador québécois.

Les chercheurs ont demandé aux écoliers de la troisième à la sixième année primaire quel âge ils avaient lorsqu'ils ont consommé pour la première fois des «psychotropes», soit des cigarettes, de l'alcool, du cannabis, des solvants ou des drogues dures. Ils qualifient de préoccupant le portrait qu'ils ont obtenu.

«Plus de la moitié des enfants questionnés rapportent s'être initiés à la cigarette, près de la moitié a déjà bu de l'alcool et plus du tiers de l'échantillon a déjà consommé du cannabis, dit le rapport. De plus, bien que les enfants soient moins nombreux à s'être initiés aux solvants et aux autres drogues, 10,6% rapportent tout de même avoir déjà essayé ces autres drogues illicites.

«Un pourcentage plus important de filles que de garçons s'est initié à la consommation, et ce, peu importe la nature du psychotrope.»

La cigarette, qui agit sur le système nerveux central et provoque la dépendance, est incluse dans certaines classifications de psychotropes, même si elle n'altère pas la conscience.

«La cigarette est une entrée dans le rituel, explique Mme Laventure. Qu'ils soient autochtones ou non, les jeunes commencent par la cigarette, puis ils passent à l'alcool et ensuite au cannabis. Les enfants innus se distinguent parce qu'ils commencent très jeunes et suivent une trajectoire très rapide.

«Or, plus la consommation débute tôt, plus il y a risque de dépendance. C'est désespérant de voir un taux de consommation de psychotropes aussi élevé chez des enfants aussi jeunes.»

Même s'ils sont peu nombreux, le simple fait que des enfants du primaire aient déjà pris des drogues dures est inquiétant, selon elle. Il s'agit surtout de petites filles.

«On se serait attendu à trouver du solvant, mais c'est très rare. Les autres drogues qui remportent la palme sont les hallucinogènes, les speeds et la cocaïne. Dans ce cas, l'âge d'initiation est de 9,5 ans. Quelques enfants ont fait leur première expérience à 8 ans.»

Les enfants ont été interviewés dans les écoles de Pessamit (entre Forestville et Baie-Comeau), Uashat et Maliotenam (près de Sept-Îles), Ekuanitshit (Mingan), Nutashkuan (ou Natashquan), Unamen Shipu (La Romaine), Pakuashipu (près de Saint-Augustin) et Matimekosh (près de Schefferville).

Le rapport a été produit en 2008, mais il a fallu attendre novembre dernier avant que l'équipe de Mme Laventure puisse lancer un programme de prévention, et cela, dans quatre écoles seulement: à Maliotenam, Uashat, Unamen Shipu et Matimekosh.

Inspiré du «Système D»

Le programme, mené par six étudiantes du département de psychoéducation de l'Université de Sherbrooke, est très limité faute de financement.

Il s'inspire du «Système D», mis au point par la direction de la santé publique de la Montérégie, un ensemble d'activités de «développement des compétences en milieu scolaire pour la prévention des toxicomanies». Les stagiaires organisent des ateliers en classe mais, paradoxalement, elles évitent de parler de drogue. En effet, plusieurs études montrent que le fait d'en parler directement peut inciter les jeunes à en faire l'expérience.

«On tente de renforcer la prise de décision, la résolution de problèmes, l'affirmation de soi, les champs d'intérêt autres que la consommation, explique Mme Laventure. Ce programme fonctionne seulement si la grande majorité des enfants n'a encore rien consommé, si bien que, d'habitude, on le commence en sixième année. Mais dans les écoles innues, on le commence en quatrième.

«Nos stagiaires sont très bien accueillies, tant par les écoles que par les conseils de bande. Mais on sait bien que ce n'est pas l'idéal de faire ce genre de prévention auprès des enfants sans intervenir auprès des parents. Au départ, on voulait implanter un programme communautaire et familial plus complet qui aurait compris plusieurs rencontres avec les parents, mais il aurait coûté plus cher (75 000 $ pour quatre communautés). Les sous n'ont pas suivi.»

L'équipe de Mme Laventure n'a pas obtenu de financement du ministère de l'Éducation, mais auprès d'organismes publics qui subventionnent les recherches en santé et en sciences humaines. Des démarches sont en cours auprès de Santé Canada.