Le président de l'Afghanistan a sommé les firmes de sécurité privées de quitter son pays en mars. Mais le PDG de Garda, Stéphan Crétier, continue de voir dans le chaos annoncé une formidable occasion d'affaires. Son pari est risqué: depuis 49 jours, deux employés de la firme croupissent dans une geôle de Kaboul, accusés de trafic d'armes. En Irak, une prise d'otages impliquant quatre autres employés a terriblement mal tourné. Aujourd'hui, le seul rescapé de l'enlèvement accuse l'entreprise montréalaise d'avoir surtout voulu sauver son image.

Il aura fallu quatre ans et huit mois pour qu'Alan McMenemy rentre chez lui. Le 9 février dernier, la dépouille de ce garde du corps a été mise en terre près de Glasgow, en Écosse. Les funérailles, sous une pluie glaciale, ont clos la plus longue prise d'otages concernant des Britanniques depuis une génération. Et le plus sombre chapitre de l'histoire de Garda.

En entrevue avec La Presse, Peter Moore, seul survivant de l'enlèvement, accuse aujourd'hui la firme de sécurité privée canadienne de s'être davantage souciée de son image que du sort de ses quatre employés enlevés en Irak.

L'attaque avait été audacieuse. Le 29 mai 2007, une centaine de miliciens chiites déguisés en policiers irakiens ont bloqué la rue du ministère des Finances, à Bagdad.

Ils se sont engouffrés dans l'immeuble en aboyant des ordres, et sont repartis avec cinq Britanniques: Peter Moore, expert en informatique, et ses quatre gardes du corps, tous d'anciens militaires employés par GardaWorld, bras international de la firme de sécurité privée Garda, située

à Montréal.

Seul M. Moore a été épargné. Il a été libéré le 30 décembre 2009. Ses gardes du corps ont été enchaînés, battus et soumis à des simulacres d'exécution avant d'être tués les uns après les autres.

Comme ses compagnons d'armes, Alan McMenemy a probablement été exécuté en 2008. Mais sa famille n'a jamais cessé d'espérer. Leur attente a pris fin de la pire façon, le 20 janvier, quand le corps du jeune père de famille a été remis à l'ambassade du Royaume-Uni à Bagdad.

Le PDG de Garda contredit

Le président et chef de la direction de Garda, Stéphan Crétier, soutient que la bonne gestion de cette crise a donné une «crédibilité mondiale extraordinaire» à son entreprise. «Notre client, on l'a ramené. Pouvez-vous vous imaginer combien ça nous a coûté pour réussir à le retrouver?»

Or, le «client» est loin de partager cette analyse. «Je ne dois nullement le fait d'être encore en vie à GardaWorld, dit M. Moore. Je ne lui accorde aucun mérite pour ma libération.» Des pourparlers menés par Londres auraient plutôt conduit à un échange entre l'otage et un milicien chiite détenu par les Américains .

M. Crétier affirme par ailleurs que M. Moore donne maintenant des conférences pour expliquer «à quel point GardaWorld a fait des choses extraordinaires pour lui».

C'est tout aussi faux, réplique l'ancien otage: «Je donne des conférences, mais je suis très critique envers GardaWorld. L'entreprise ne m'a jamais soutenu. Elle n'a jamais tenté de me joindre.»

Protéger son image

Selon M. Moore, GardaWorld a retenu les services de la firme de relations publiques Millbrook, dont le seul but était de protéger l'image de GardaWorld pendant la crise. «Mes amis ont voulu organiser une campagne pour accroître la visibilité des otages, mais Millbrook a bloqué leurs efforts, affirmant que tout devait passer par eux.»

Résultat, les otages ont été plus ou moins oubliés du public jusqu'en 2009, quand les ravisseurs ont livré les cadavres des trois premiers gardes du corps à l'ambassade du Royaume-Uni.

Le révérend britannique Andrew White, qui habitait le complexe sécurisé de GardaWorld à Bagdad, soutient avoir participé aux négociations avec les ravisseurs. Selon lui, 700 000$ ont été dépensés dans la première année de l'enlèvement pour rencontrer les milices. «Nous n'avons pas pu demander aux gens de soutenir ces initiatives - tout est fait en secret, et seulement quelques personnes prient pour nous», a-t-il écrit en mai 2008 dans une «note spirituelle» retranscrite dans son livre, Vicar of Bagdad.

«Dimanche, j'ai eu une rencontre secrète à l'église avec des gens de l'Iran. Cela a coûté 50 000$ juste pour organiser cette rencontre. C'était difficile, mais au moins nous avons maintenant des demandes claires, l'une d'entre elles étant de rendre l'affaire publique et de parler aux médias. Bien qu'il n'y ait pas de demande de rançon, les Affaires étrangères et GardaWorld voulaient garder le silence.»

Une porte-parole de Garda explique que l'entreprise n'a fait qu'observer la stratégie de Londres, qui préférait ne pas ébruiter l'affaire «afin de mieux protéger les otages».

«Un rendement terrible»

Stéphan Crétier soutient que les quatre gardes du corps «ont été tués d'une balle dans la tête dans les premières journées» de leur captivité.

Pourtant, M. Moore assure avoir été en contact avec les gardes du corps pendant les six premiers mois de sa détention.

Les otages avaient d'ailleurs eu le temps de discuter de ce qui les avait poussés à s'aventurer dans le chaos irakien. «Tous ont admis être allés en Irak pour l'argent», se rappelle M. Moore.

Sur son site, GardaWorld offre 172 livres (environ 272dollars) par jour à d'anciens soldats prêts à travailler en Irak. Presque tous sont britanniques; ils sont recrutés à Hereford, petite ville située non loin de la base des SAS, les forces spéciales de Sa Majesté.

Peu après s'être entretenu avec La Presse, Peter Moore a expédié une lettre d'avocat au siège social de Garda, à Montréal, dans laquelle il somme M. Crétier de corriger ses propos «inexacts et trompeurs».

«La conclusion, c'est que quatre des cinq otages britanniques sont morts. C'est un rendement terrible, 80% d'échec, peste l'ancien otage. Les gens disent qu'ils ont tous travaillé très fort, et je n'en doute pas. La question est: dans quel but ont-ils travaillé fort? Il semble que la réponse soit: pour protéger l'image de GardaWorld.»

Photo: Reuters

Peter Moore