À l'école Iguarsivik, seulement cinq ou six élèves de dernière année obtiennent leur diplôme chaque année. L'état des classes, pratiquement vides, de l'école secondaire de Puvirnituq reflète bien le fléau du décrochage scolaire qui afflige le Nunavik. Or, l'éducation est fondamentale si les Inuits veulent profiter des retombées du Plan Nord.

Tous les matins, quand la cloche sonne le début des cours, le même scénario se répète. La classe de 17 élèves qui regroupe les 3e, 4e et 5e secondaire est pratiquement déserte.

Seulement quelques élèves se présentent à l'heure. Minnie, 17 ans, et Stevie 19 ans, sont généralement du nombre. La première s'installe à l'avant de la classe, face au tableau noir. Le second choisit la rangée de pupitres qui donne sur la fenêtre.

Il a une vue du village de Puvirnituq, avec ses maisons préfabriquées recouvertes de lattes de bois, peintes en rouge, bleu ou vert. De petites taches de couleur dans l'étendue blanchâtre de l'Arctique.

Rolland Glaude attend généralement quelques minutes avant de commencer son cours. Il regarde dans le couloir, afin de voir s'il y traîne quelques retardataires. Il sait d'avance que la moitié des élèves seront absents.

L'enseignant ne sourcille plus quand les élèves arrivent d'un pas nonchalant, les uns après les autres, leur manteau parfois encore sur le dos, à mesure que le cours avance. L'important, c'est qu'ils soient venus.

Au Nunavik, à peine un élève sur six obtient son diplôme d'études secondaires. Le taux de décrochage est élevé, frôlant les 80%. Dans cette région isolée, où aucune route ne se rend, les défis sont nombreux.

Les problèmes sociaux se répercutent à l'école

En ce début du mois de février, le vent soulève des tourbillons de neige. On entend une motoneige qui file à vive allure.

Un petit groupe d'enfants traîne autour de l'unique hôtel du village. Un peu plus loin, deux petits courent autour d'une maison. Ils ne doivent pas avoir plus de 6 ans. Un garçon s'amuse à frapper une rondelle dans la rue. L'impact produit un bruit sourd qui résonne à cause du froid. Le thermomètre indique -35.

Certains enfants jouent dehors par habitude. D'autres, pour fuir les problèmes qui éclatent fréquemment dans les maisons surpeuplées où se côtoient jusqu'à 15 personnes.

Le problème, c'est qu'il est 22h.

Les élèves s'en ressentent le lendemain, à l'école. Dans la classe de Louise Pellerin, en 4e année, les 12 élèves sont présents ce matin. Mais ils sont fatigués. Ils ont de la difficulté à se concentrer.

Mosesie, 11 ans, regarde fixement sa feuille d'exercices depuis quelques minutes. Il bâille. Il avoue à l'enseignante s'être couché à minuit.

Des comptines de Colette Major jouent en sourdine. Une façon d'aider les élèves à mieux assimiler le français. Au Nunavik, les enfants vont à l'école en inuktitut - leur langue maternelle - jusqu'en 3e année. Par la suite, l'enseignement se fait uniquement en langue seconde, l'anglais ou le français. C'est aussi dans cette langue que les élèves doivent passer leurs examens à la fin du secondaire.

Pendant que l'enseignante parle à la classe, Annie se lève, chuchote à l'oreille de Paulusie. Clara-Leah a du mal à rester en place. Elle gigote constamment sur sa chaise. Maina-Lucy finit par s'asseoir sur le plancher, dans un coin de la classe, pour mieux se concentrer.

Il faut changer d'activités aux 10 minutes pour maintenir l'attention des élèves. L'enseignante passe des séries de nombres aux mots de vocabulaire puis aux tables de multiplication.

«Louiiise, Louiiise...» Les petits sont constamment autour d'elle pour lui montrer leur travail. Ils exigent son attention.

C'est un peu normal. Les familles sont nombreuses, souligne Mme Pellerin. Les femmes ont près de quatre enfants en moyenne.

«On ne peut pas dire que les enfants soient négligés dans l'ensemble, mais ils n'ont pas toujours l'attention dont ils ont besoin à la maison. Cette attention, ils la trouveront à l'école.»

Plusieurs enfants proviennent de milieux dysfonctionnels. Le père de l'un est en prison, la mère de l'autre a été poignardée, un troisième vit en famille d'accueil.

La plupart des enseignants s'entendent pour dire qu'avant d'espérer des résultats scolaires, l'important est que les enfants aiment venir à l'école. Qu'ils s'y sentent bien. Sait-on jamais, l'étincelle peut jaillir par la suite.

Retards scolaires

«On dirait que c'est de plus en plus difficile avec les enfants, leur comportement. [...] Les enfants font des crises. Ce n'est pas tout le monde, mais il y en a plus qu'avant», reconnaît la directrice adjointe de l'école Iguarsivik, Maata Putugu.

«À cause de ce qui se passe à la maison?

À cause de ce qui se passe dans la communauté, peut-être.»

La situation semble s'aggraver depuis quelques années. Au milieu des années 2000, l'école comptait une dizaine de diplômés chaque année. Maintenant, ils ne sont plus que cinq, parfois six, à obtenir leur diplôme.

La commission scolaire Kativik, qui offre l'enseignement dans les écoles du Nunavik, respecte le programme québécois du ministère de l'Éducation. Certains cours sont toutefois adaptés pour refléter la réalité du Nord.

Dans le cours de culture, les élèves apprennent ainsi les traditions de leurs ancêtres. Les filles cousent les kamiik - ces bottes traditionnelles inuites - à la main tandis que les garçons construisent un igloo pour pouvoir survivre dans la toundra.

Les défis sont nombreux. L'apprentissage d'une seconde langue constitue autant une ouverture sur le monde qu'une barrière. Près de 90% des élèves arrivent au secondaire avec un retard scolaire.

«La majorité de nos élèves ont des besoins particuliers, mais ils ne savent pas à qui s'adresser pour leurs problèmes. Nous n'avons pas de soutien en place pour le moment, nous avons besoin de ressources humaines, d'argent, d'une structure formée et organisée», déplore le nouveau président de la commission scolaire, Johnny Kasadluak.

Âgé d'à peine 30 ans, celui qui a été candidat du Parti vert pour le Nunavik aux dernières élections a fraîchement en mémoire son passage sur les bancs d'école.

Combattre le décrochage scolaire fait partie de ses priorités. Mais le chemin est ardu. La poignée d'élèves qui fréquentent encore l'école en 3e, 4e et 5e secondaire le montre bien.

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Taux de diplômés au secondaires après sept ans: 17,8%

Québec : 72,3%

Élèves présentant un retard à l'entrée du secondaire: 92,8%

Québec : 16,7%

Source : ministère de l'Éducation, octobre 2011