Pour le dernier volet de notre série sur l'argent, notre chroniqueur laisse la parole aux lecteurs qui lui ont fait part du rapport souvent complexe qu'ils entretiennent avec leur propre consommation.

C'était une série sur l'argent. Fatalement, c'est devenu une série sur la consommation et la surconsommation. Vous m'avez expliqué, bien souvent, comment le «besoin» de dépenser vous consumait, dans de longs témoignages, très intimes et très viscéraux.

Francis, sibyllin: «La douleur causée par le manque peut parfois nous ouvrir les yeux et nous aider à sortir de la matrice...»

Quelle matrice? Francis n'a pas expliqué.

Je l'ai pris comme une référence à la trilogie des films des frères Wachowski: notre matrice à nous étant cette société qui nous pousse à acheter tant de choses dont nous n'avons pas vraiment besoin, à crédit, pour impressionner trop de gens que nous n'aimons pas, selon une formule entendue quelque part...

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Victor Lebow, économiste américain, penseur de la société de consommation, a tracé les contours de la matrice, en 1955:

«Notre très productive économie exige que nous fassions de la consommation notre mode de vie, que nous transformions l'achat et l'utilisation de biens en rituels, que nous cherchions une satisfaction spirituelle, une satisfaction de l'ego dans la consommation [...]. Plus l'individu est invité à se conformer à des normes sociales consensuelles, plus il tend à exprimer ses aspirations et son individualité selon ce qu'il porte, conduit, mange... Sa maison, son auto, les portions dans ses repas, ses hobbies.»

Véronique, dans un témoignage de 2724 mots (cette chronique en compte 802!) relatant sa vie de mégaconsommatrice:

«L'entourage voyage, dépense, s'habille cher, va au resto. L'entourage a l'air d'avoir de l'argent qui lui tombe du ciel. Ils transpirent l'abondance. Et moi, je tombe dans le piège. Je veux transpirer l'abondance et non la sueur. Le piège de l'appartenance à un style de vie, celui du culte de l'ère où «on-pense-à-soi, on-se-fait plaisir-et-surtout-on-profite-de-la-vie», le culte du bonheur optimal finalement...

«On «améliore» sa qualité de vie, c'est bon pour la santé mentale, qu'ils disent. Donc on «prend soin de soi». On fait du yoga parce que c'est bon pour l'esprit, on s'inscrit au gym année après année (même si on le boude après les deux premiers mois), parce que c'est bon pour la santé. On s'achète un tapis de yoga, des cossins d'entraînement pour la maison, au cas où on n'aurait pas le temps d'aller au yoga et au gym... On finit par ne faire ni l'un ni l'autre...»

Catherine, qui a fait un deal avec ses enfants: le fric de vos cadeaux de fête et de vos allocations, on le met dans un pot. Si vous voulez aller en voyage familial, vous allez contribuer. «Si on part, ils vont avoir fait des sacrifices. Ils vont avoir désiré. C'est important.»

Parlant de désir, David Desjardins, mon ami de Voir Québec: «Les gens se tuent à suivre la parade. Ils souffrent de la seule chose qu'ils ont trouvée pour jouir.»

Du désir, encore. Kevin, qui fréquentait jadis un site de rencontres: «Plusieurs filles disaient: «Je suis une passionnée du magasinage.» Ça me faisait rire. Ou ça me décourageait, c'est selon...»

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Plusieurs histoires sur le crédit facile, sur le lien pusher-junkie que nourrissent les banques avec leurs clients, en leur mettant constamment des offres de crédit sous le nez. David, qui paie rubis sur l'ongle son solde mensuel, sans jamais atteindre sa limite: «J'ai reçu une lettre de la banque. Ils me proposent de doubler ma limite de crédit, pour «répondre à mes besoins»! Que savent-ils de mes besoins? Ce qu'ils veulent dire, c'est qu'ils ne font pas une crisse de cenne avec moi. Et qu'en doublant la limite, ils espèrent que je serai assez cave pour l'atteindre...»

Plusieurs m'ont écrit pour souligner l'importance de s'éduquer, de s'informer, sur le fric et les dettes. Samuel, conseiller en planification financière: «Nous ne sommes pas des analphabètes de la finance, M. Lagacé. Nous sommes des autruches.»

Peut-être...

Une image: on ne trouve jamais un espace vide, les week-ends, dans les parkings de centres commerciaux. La question: quel vide comble-t-on, dans ces boutiques, dans ces grandes surfaces bercées par la muzak?

Réponse d'Hugo Laplante, homme d'immobilier, cité quelques fois dans cette série: «Si les gens étaient plus heureux, ils auraient moins envie de dépenser.»

Comme l'écrit sur son blogue Denis Blondin, anthropologue, auteur de l'essai La mort de l'argent: «Article premier de la Grande déclaration de l'argent: tous les humains naissent ego...»

Le mot de la fin appartient à Mylène, qui transcende la simple consommation: «Chaque jour, avec notre argent, nous faisons des choix. Ces choix nous gardent enchaînés ou nous libèrent. Lecteurs de Patrick, avez-vous pensé à la longueur de votre chaîne?»

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MERCI - Merci à tous ceux qui ont témoigné lors de mon appel à tous. Désolé de ne pas avoir pu répondre à tous les messages, il y en avait trop. Merci à ceux qui ont accepté de témoigner, à visage découvert ou pas, cités dans la série ou pas.