Dans un geste sans précédent, le chef du Parti libéral, Stéphane Dion, a informé hier la gouverneure générale Michaëlle Jean qu'il est prêt à former un nouveau gouvernement de coalition d'ici une semaine avec l'aide du NPD et soutenu par le Bloc québécois.

À moins d'un revirement de taille, les trois partis de l'opposition ont signé ainsi la mort du gouvernement Harper, réélu il y a à peine six semaines, en paraphant un accord sur un programme politique commun principalement axé sur l'économie et sur les moyens de passer à travers la crise économique internationale.

M. Dion s'apprête donc à occuper le poste de premier ministre grâce à l'appui d'autres partis après avoir été rejeté par les électeurs le 14 octobre, ce qui constitue une véritable résurrection politique. Dans le cas de Stephen Harper, la chute probable risque d'être à la fois brutale, inattendue et spectaculaire, alors qu'il a été reporté au pouvoir avec une minorité renforcée au dernier scrutin.

La nouvelle coalition PLC-NPD - et soutenue par un parti souverainiste - est unique en son genre dans les annales de l'histoire canadienne. Dans un premier temps, elle est déterminée à défaire le gouvernement conservateur de Stephen Harper le lundi 8 décembre lors d'un vote de censure déjà inscrit au feuilleton de la Chambre.

Mais s'il devient premier ministre d'un gouvernement de coalition, Stéphane Dion a promis de passer le flambeau à son successeur à la tête du PLC qui sera choisi en mai 2009 à Vancouver.

«Nous traversons une crise économique sans précédent», a dit Stéphane Dion, soulignant que tous les gouvernements du monde réagissaient à cette crise en mettant de l'avant des mesures de stimulation de l'économie.

«C'est ce qu'on voit partout, sauf au Canada», a-t-il ajouté en insistant sur le fait que le gouvernement Harper n'avait pas de plan pour surmonter la crise et qu'il avait préféré attaquer les droits fondamentaux des Canadiens dans son énoncé économique.

«Les partis d'opposition ont décidé que le temps d'agir était arrivé», a dit le chef libéral, en conférence de presse avec ses nouveaux alliés, le chef bloquiste Gilles Duceppe et le chef néo-démocrate Jack Layton.

M. Dion, qui avait rejeté catégoriquement l'idée de former une coalition pendant la campagne électorale, a précisé que ses nouveaux partenaires et lui étaient prêts à former un nouveau gouvernement composé d'un petit cabinet de 24 ministres, dont 6 issus du NPD.

Engagement de 30 mois

Le Parti libéral et le NPD se sont engagés à travailler en coalition pour une période minimale de 30 mois, soit jusqu'au 30 juin 2011. Pour sa part, le Bloc québécois compte appuyer ce nouveau gouvernement au moment des votes de confiance à la Chambre des communes, sans avoir occupé de sièges à la table du cabinet, pendant 18 mois. Le PLC, le NPD et le BQ totalisent 163 sièges aux Communes contre 143 pour les conservateurs.

Les conservateurs n'ont pas tardé à dénoncer cette manoeuvre de l'opposition, affirmant qu'elle était «antidémocratique», «contraire aux intérêts des Canadiens » et comparable à un coup d'État. En soirée, le ministre de l'Environnement, Jim Prentice, a affirmé que le gouvernement Harper examinait «toutes les options» pour empêcher cette coalition de prendre le pouvoir, y compris la prorogation du Parlement cette semaine.

Stephen Harper n'a pas réagi après la signature de l'accord tripartite. Mais plus tôt aux Communes, il avait lancé cet avertissement : «Les Canadiens vont se demander si renverser le résultat d'une élection après quelques semaines pour former un gouvernement de coalition, pour lequel personne n'a voté, et qui peut gouverner seulement avec l'approbation de gens qui veulent détruire le pays, est réellement dans l'intérêt de la nation.»

Urgence d'agir

Mais le chef néo-démocrate, Jack Layton, a dit qu'il fallait agir maintenant face à la crise économique. «Nous n'avons pas fait ce choix à la légère, a dit M. Layton. Nous avons tenu compte de la situation, qui est très grave.»

« Nous formerons un gouvernement responsable », a encore dit M. Layton qui a qualifié l'accord de coalition de « juste et équilibré ». M. Layton a ensuite mis au défi M. Harper d'accepter «gracieusement» la nouvelle coalition sans tenter de perturber davantage le Parlement pour s'accrocher au pouvoir.

Réitérant sa foi souverainiste en pleine conférence de presse, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a pour sa part rappelé que l'énoncé économique du gouvernement Harper de jeudi dernier avait misé sur l'idéologie et non sur des mesures pour affronter la crise économique. Il a ajouté que rien chez les conservateurs ne pouvait aujourd'hui réparer cet impair.

M. Duceppe a aussi affirmé que le Bloc québécois a obtenu plusieurs gains dans les négociations qui ont mené à l'accord, soulignant que plusieurs des propositions de son parti avaient été retenues. Par exemple, il a souligné le soutien proposé aux secteurs manufacturiers et forestiers, le rétablissement de l'aide au développement régional, la création d'un programme de soutien aux travailleurs âgés, l'abolition du délai de carence de l'assurance emploi et la réduction de cibles absolues de gaz à effet de serre avec pour cible l'année 1990.

«Si nous n'avons pas accepté de soutenir la coalition au-delà (du 30 juin 2010) c'est que nous n'avons pu nous entendre sur des mécanismes de reconnaissance de la nation québécoise», a confié M. Duceppe.

Accord et résignation

Les trois candidats libéraux à la succession de M. Dion, Dominic LeBlanc, Michael Ignatieff et Bob Rae, ont indiqué en début d'après-midi qu'ils étaient entièrement d'accord avec le projet de gouvernement élaboré en collaboration avec le Nouveau Parti démocratique. Les trois hommes croient que le Parti libéral pourra mener à bien sa course à la direction tout en gouvernant le pays.

Chez les conservateurs, en particulier au cabinet du premier ministre, l'atmosphère semblait à la résignation même si certains députés aux Communes ont eu un sursaut d'orgueil en accusant les libéraux et les néo-démocrates d'avoir signé «un pacte avec le diable», soit avec «les séparatistes».

À moins d'une prorogation peu probable de la Chambre des communes, le gouvernement n'a cependant aucun moyen à sa disposition pour éviter l'humiliation de la défaite et le retour sur les banquettes de l'opposition.

Le programme de la coalition destiné à stimuler l'économie canadienne et à permettre au pays de passer au travers de la crise financière mondiale sans trop d'égratignures représentera, selon des sources au sein de la nouvelle coalition, des investissements de l'ordre de 1,5% du produit intérieur brut, soit quelque 30 milliards de dollars. Selon les économistes, cette somme pourrait permettre d'affronter la tempête actuelle et de relancer l'économie canadienne.