Tandis que le nouveau président américain, Barack Obama, veut donner une plus grande portée à la loi sur l'accès à l'information des États-Unis, la personne chargée de surveiller celle en vigueur au Canada s'arrache les cheveux et dénonce son manque croissant de transparence.

Deux ans après son arrivée en poste et 25 ans après l'adoption de la loi canadienne sur l'accès à l'information, le commissaire à l'information, Robert Marleau, affirme que la situation frise le désastre au gouvernement fédéral.

Des données qui seront rendues publiques prochainement démontreront une sérieuse dégradation du système de l'accès à l'information depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs de Stephen Harper, a indiqué M. Marleau lors d'une entrevue accordée à La Presse.

Les statistiques qui seront dévoilées prochainement par le Conseil du Trésor pour 2006-2007 et une évaluation du rendement de 10 ministères en 2007-2008, qu'il déposera lui-même dans les prochaines semaines à la Chambre des communes, parleront d'elles-mêmes, dit-il.

«Si on combine les deux, on prend plus d'extensions, on divulgue moins d'informations, on invoque plus d'exemptions, qu'on ne l'a fait dans le passé», a indiqué le commissaire.

Son prochain rapport annuel, attendu vers la fin du mois de mai, sera basé sur ces données. Ce sera le premier rapport annuel qui couvrira exclusivement l'administration Harper, a-t-il fait remarquer.

Pourra-t-on dès lors affirmer que le gouvernement Harper est pire que ses prédécesseurs en matière d'accès à l'information?

«Vous pourrez en tirer vos conclusions quand vous allez voir les chiffres, s'est contenté de répondre M. Marleau, prudent. Je ne peux pas les dévoiler encore parce que je ne les ai pas tous.»

«Mais je vous dis que c'est inquiétant. Ça va être révélateur», a-t-il ajouté.

Or, comme tout bon chien de garde, un ombudsman ne peut mordre ni aboyer continuellement, a rappelé Robert Marleau. «S'il mord tout le temps, on lui raccourcit sa chaîne», a-t-il dit.

Mais cette fois-ci, il pourrait bien devoir faire plus que seulement sortir les crocs. «Oui, je devrai aboyer, au minimum.»

Ces déclarations de M. Marleau surviennent au moment où, au lendemain de son investiture, Barack Obama, a fait de la transparence et de l'éthique l'un de ses premiers combats. Lors d'une visite au bâtiment du bureau exécutif d'Eisenhower, il a ordonné aux agences fédérales de revenir à une application plus souple du Freedom of Information Act, l'équivalent américain de la Loi canadienne sur l'accès à l'information.

Vaste enquête

Adoptée par les libéraux de Pierre Elliott Trudeau, la Loi sur l'accès à l'information permet aux citoyens canadiens de demander n'importe quel document qu'une institution fédérale a en sa possession. Cette institution a en principe 30 jours pour le lui remettre. Seules quelques exceptions prévues par la loi, dont la sécurité nationale ou la protection de renseignements personnels, peuvent être invoquées comme motif de refus.

Dans son rapport annuel attendu en mai, M. Marleau recommandera une série de changements, incluant une vaste révision de la gestion de l'information et de la documentation dans l'ensemble du gouvernement fédéral.

«La situation dans les institutions fédérales est au bord de la crise, a-t-il affirmé sans détour. Alors si la gestion de l'information est au bord de la crise, l'accès à cette information-là l'est déjà, en crise.»

Selon lui, la quantité phénoménale d'information et de documentation que détient le gouvernement fédéral est mal gérée, mal répertoriée.

«Je vais prôner une commission royale d'enquête - je dis cela entre guillemets - sur la gestion de l'information au gouvernement canadien», a-t-il déclaré.

Il voudrait qu'un tel exercice ait le même impact que la commission Lambert, dans les années 70, qui a jeté les bases des principes d'imputabilité en matière de gestion des finances au gouvernement fédéral.

Autres solutions

Comme autres solutions, le commissaire suggère notamment que les demandes soient informatisées et que l'obligation de donner 5$ en argent comptant ou par chèque soit modifiée. «Mon petit-fils qui a 6 ans, quand il va faire sa première demande d'accès à l'information, il ne saura même pas c'est quoi, un chèque», a-t-il fait valoir, ajoutant que le montant exigé était nettement insuffisant.

«Il y a une pénurie de personnel: ça, je l'ai clamé dans le dernier rapport annuel, je vais continuer de le clamer», a-t-il ajouté.

Par ailleurs, M. Marleau se défend d'être à l'origine de plusieurs des problèmes observés au cours des dernières années. Son arrivée à la tête du commissariat, il y a deux ans, coïncide pourtant avec cette dégradation qu'il dénonce lui-même aujourd'hui.

«Je n'ai pas d'excuses à offrir sur ce dont j'ai hérité», a-t-il lancé, après avoir fait remarquer qu'il a trouvé 1500 dossiers en retard lors de son arrivée en poste.

«On a changé notre méthodologie de travail, notre méthodologie d'enquête, a-t-il ajouté. On essaie d'écourter, au départ, avec une unité de réception, d'éviter les enquêtes pour faire une médiation préalable. Et déjà, on démontre des succès assez importants qui sont dans mon rapport annuel.»

«Il y a beaucoup de choses que l'on doit faire en même temps, a conclu M. Marleau. Mais si on veut vraiment s'attaquer aux raisons des extensions et des délais inouïs, on ne peut que conclure que c'est la gestion de l'information qui doit aussi être traitée, de façon urgente.»