Est-ce le signe d'un refroidissement des relations entre Ottawa et le Kremlin? Le premier ministre Stephen Harper a affirmé à deux reprises la semaine dernière qu'il est de plus en plus préoccupé par les incursions de la Russie dans l'espace aérien du Canada. Des experts croient plutôt que le premier ministre cherche à gagner des points ici, sur le continent nord-américain.

«Ils testent notre espace aérien plus fréquemment qu'ils ne l'ont fait depuis longtemps, très longtemps. Cela représente une agression non seulement dans l'Arctique mais une agression de façon générale. Et elle est de plus en plus préoccupante», a déclaré le premier ministre dans une entrevue qu'il a accordée au Wall Street Journal lundi dernier, lors de son passage à New York, et publiée samedi sur le site internet du quotidien américain. Selon le Wall Street Journal, le gouvernement Harper aurait même laissé entendre que le Canada considère désormais la Russie comme une menace.

Vendredi, lors d'un point de presse en Saskatchewan, Stephen Harper s'est plaint des «actions de plus en plus agressives de la Russie» et de ses «intrusions dans l'espace aérien canadien». Il réagissait à la nouvelle selon laquelle un avion militaire russe avait été intercepté à la porte de l'espace aérien du Grand Nord canadien, peu avant la visite du président américain Barack Obama à Ottawa, la semaine dernière.

«Harper essaie d'utiliser ces faits à des fins de politique intérieure. Il agite la menace russe pour montrer aux électeurs à quel point la question de la souveraineté canadienne dans la région arctique est importante et qu'il est à même de la défendre», dit Frédéric Lasserre, de l'Université Laval.

«On a souvent reproché aux libéraux de ne pas avoir une approche assez forte et décisive, alors Harper mise sur la force et la puissance», ajoute Philippe Lagassé, professeur à l'Université d'Ottawa. M. Lagassé croit aussi que Stephen Harper a voulu détourner l'attention du public de la mission en Afghanistan et rassurer les Américains sur sa participation au Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD).

Ces deux experts minimisent ainsi la portée de ces propos sur les relations Canada-Russie. «Moscou n'est pas dupe. Il joue le même jeu avec son électorat», dit M. Lasserre, qui compare les propos de M. Harper au drapeau que les Russes avaient planté au fond de l'océan Arctique en 2007.

M. Lagassé émet néanmoins quelques réserves. « Si le Canada adopte une position très dure et agressive sur les enjeux militaires, la coopération sur d'autres dossiers, économiques notamment, pourrait devenir plus difficile. » Mais pas impossible.

L'opposition fulmine

Ces commentaires répétés de M. Harper ont fait sursauter les partis de l'opposition. Le député du NPD Paul Dewar accuse le premier ministre de miner les chances du Canada de s'entendre à l'amiable avec la Russie sur les moyens à prendre pour contrer les effets des changements climatiques et sur l'avenir du passage libéré par la fonte des glaces. «Il est plus facile pour les conservateurs de brandir l'épouvantail russe et de prétendre qu'ils vont leur tenir tête que d'opter sur une approche basée sur la coopération. Il faut regarder les vrais problèmes et dialoguer», dit M. Dewar.

Le député libéral Denis Coderre, critique en matière de défense, dénonce le flou qu'entretient Ottawa sur les gestes qu'a réellement faits la Russie: «Harper parle d'intrusion dans l'espace aérien, alors que Peter McKay (ministre de la Défense) dit que les avions ont frôlé l'espace aérien.» La distinction, relève-t-il, est majeure : «Si la Russie a effectivement pénétré dans notre espace aérien, elle a envoyé un message au pays et tenté d'assumer une territorialité.»

Selon M. Lagassé, cette possibilité est toutefois très mince. «Ottawa est même certainement au courant de tous les déplacements des avions russes. Les deux pays ne peuvent pas se permettre de courir le risque qu'il y ait un accident.»