La nomination d'un nouveau commissaire de l'immigration et du statut de réfugié suscite la controverse. Nommé le 17 février par le ministre fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration, Pharès Pierre a déjà été chef de cabinet du premier ministre d'Haïti sous le régime contesté de Jean-Bertrand Aristide.

«Des avocats en immigration m'ont contacté; ils se montraient très préoccupés. Les nouvelles fonctions de M. Pierre l'amèneront à traiter plusieurs dossiers d'Haïtiens qui ont justement fui le régime d'Aristide», s'inquiète Me Stéphane Handfield, le vice-président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration (AQAADI).

 

La nomination de Pharès Pierre, 68 ans, a fait sursauter plusieurs membres de cette association.

Comment un homme qui a occupé des postes névralgiques au sein de l'ancien gouvernement du président en exil Jean-Bertrand Aristide peut-il aujourd'hui traiter des dossiers de demandeurs d'asile, notamment ceux en provenance de son propre pays d'origine, s'interrogent-ils?

L'AQAADI se demande si le nouveau commissaire a caché son passé au Ministère ou si ce dernier a mal fait ses vérifications.

M. Pierre vient d'obtenir un mandat de trois ans au bureau montréalais de la Commission de l'immigration. Son rôle sera de procéder à l'audition des demandes d'asile présentées au Canada, des appels en matière d'immigration, d'effectuer des enquêtes et de contrôler les motifs de détention.

Nulle part dans le communiqué annonçant la nomination des 13 nouveaux commissaires, publié par le bureau du ministre de Citoyenneté et Immigration Canada Jason Kenney, on ne fait mention du parcours politique de Pharès Pierre.

En 1996, M. Pierre a pourtant été chef de cabinet du ministre haïtien de l'Intérieur et des Collectivités territoriales, avant d'être promu directeur général de ce ministère. De mars 2002 à février 2003, il a été chef de cabinet du premier ministre Yvon Neptune, dans le gouvernement Aristide.

En sol québécois, M. Pierre a occupé le poste de vice-président et trésorier à l'exécutif du Parti progressiste-conservateur de sa circonscription de Saint-Jean, en plus d'avoir été vice-président de l'aile québécoise de ce parti.

Dans le communiqué du Ministère, on ne retrouve que quelques lignes biographiques sur le parcours professionnel et universitaire de Pharès Pierre, depuis son arrivé au Québec en 1967. «Il a obtenu un baccalauréat spécialisé en mathématiques, avec option en enseignement secondaire, ainsi qu'une mineure en administration et sciences politiques de l'Université du Québec à Montréal», résume-t-on.

M. Pierre a enseigné les mathématiques jusqu'à sa retraite en 1997. Il a aussi été très engagé dans sa communauté, notamment à titre de membre du conseil d'administration du cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu et président du Club Lion local. Il est aussi l'auteur du livre Explique-moi Haïti, publié en 2006.

Sérieux problèmes éthiques

Mais l'AQAADI n'en démord pas. Pour elle, l'expérience politique haïtienne du nouveau commissaire pose de sérieux problèmes éthiques. «Il a été chef de cabinet du premier ministre lors du règne d'Aristide. Il s'agit d'un poste où on doit prendre des décisions et donner des directives», souligne Me Handfield.

Jean-Bertrand Aristide a été élu démocratiquement et accueilli en sauveur à la tête de son pays en 1990. Son étoile a été assombrie par toutes sortes de crimes commis lorsque son parti, Fanmi Lavalas, était au pouvoir. La réélection d'Aristide en 2000 avait été aussitôt contestée en raison d'irrégularités. Sous son régime, la mise en place d'une politique de «zéro tolérance» en matière de criminalité s'était accompagnée d'une augmentation des homicides commis par la police, notamment contre des adversaires politiques et des journalistes.

Ces comportements avaient d'ailleurs été dénoncés par Amnistie internationale dans son rapport de 2002. Aristide a été poussé à l'exil en 2004. Il habite aujourd'hui en Afrique. L'ex-premier ministre Yvon Neptune avait pour sa part été incarcéré pour son implication présumée dans un massacre d'opposants à l'ex-président Jean-Bertrand Aristide.

Sous le couvert de l'anonymat, une avocate montréalaise en droit de l'immigration a qualifié d'«odieuse» et d'«aberrante» la nomination de Pharès Pierre. «Le gouvernement canadien nomme un tenant du pouvoir et un décideur qui a non seulement fait partie de ce régime qui a commis des exactions, mais l'a instauré et a été complice de ses infrastructures», dénonce la juriste dans un courriel envoyé à l'AQAADI.

Cette avocate s'est aussi dite «estomaquée» par la nomination du nouveau commissaire. «Avec le profil politique de cet individu, ayant appartenu à deux gouvernements de son pays d'origine (Haïti), durant deux périodes durant lesquelles les régimes en place commettaient des atrocités, je vous soumets qu'il ne devrait pas être considéré comme habile à siéger à ce tribunal qu'est la Commission de l'immigration et du statut de réfugiés (CISR), quelle que soit la section», plaide-t-elle.

La nomination d'un nouveau commissaire relève du ministre de Citoyenneté et Immigration Canada lui-même. Chaque candidature est d'abord recommandée par la CISR, puis étudiée selon plusieurs critères par le bureau du Conseil privé.

Celle de Pharès Pierre a été recommandée par le bureau montréalais de la CISR. Son porte-parole s'est contenté de nous renvoyer au cabinet du ministre Kenney lui-même pour obtenir des explications. «C'est là qu'on fait les vérifications de sécurité», explique Stéphane Malépart, selon qui la CISR doit se baser sur une grille d'évaluation disponible sur le site internet du Ministère pour approuver les candidatures.

Au cabinet du ministre, on nous a redirigé au bureau du Conseil privé, qui relève directement du premier ministre conservateur. Mais personne, au Conseil privé, au ministère de Citoyenneté et Immigration et au cabinet du ministre Jason Kenney n'a voulu commenter le dossier, malgré les demandes répétées de La Presse.

Joint au téléphone, Pharès Pierre a dit ne pas être autorisé à répondre aux questions à ce sujet.