Le ministre du Patrimoine, James Moore, a l'intention de rencontrer les membres du conseil d'administration de la Société Radio-Canada au moment même où le diffuseur fait face à une perte importante de ses revenus que les conservateurs ne semblent pas enclins à combler.

James Moore a fait cette annonce jeudi lors de son passage sur le plateau de l'émission Tout le monde en parle, sans toutefois préciser la nature exacte de cette rencontre.

Or, selon une source très au fait du dossier, James Moore aurait eu l'intention de prendre part à l'importante réunion du conseil d'administration de la SRC, ce matin, au cours de laquelle la haute direction doit discuter des moyens qu'elle prendra pour combler ses pertes de revenus publicitaires pour l'année à venir.

Ce manque à gagner atteindrait de 125 à 140 millions pour 2009-2010, a aussi appris La Presse. Il risque d'entraîner des réductions de service, des pertes d'emploi et des ventes d'actifs si le gouvernement Harper ne hausse pas le budget de la SRC.

Selon nos sources, l'éventualité de cette rencontre a créé à la SRC un profond malaise qui a pris de l'ampleur après l'enregistrement de l'émission Tout le monde en parle. Vendredi, le ministre James Moore aurait pris la peine de préciser qu'il se limiterait à une «visite de courtoisie» aux membres du conseil avant le début de leurs travaux officiels. Un bandeau indiquant que la rencontre avait été annulée a même été ajouté au montage de l'émission Tout le monde en parle, diffusée hier soir, mais le bureau de James Moore et la SRC ont tous deux confirmé par la suite à La Presse que la rencontre n'avait été que reportée.

Une rencontre informelle

Selon le porte-parole de la SRC, Marco Dubé, l'initiative de cette rencontre est venue des membres du CA, dès que le ministre est entré en fonction, l'été dernier. «Ils voulaient connaître le ministre responsable de la société d'État et, pour le connaître, il faut le rencontrer, a-t-il dit. Cela fait partie de l'ordre normal des choses.»

M. Dubé affirme que James Moore rencontrera les membres du conseil en dehors des travaux habituels du CA et se limitera à des échanges à bâtons rompus avec eux. «Il n'a jamais été prévu qu'il assiste à la réunion du conseil d'administration», a-t-il affirmé hier à La Presse. Il ajoute que ce genre d'échange «n'est pas inhabituel».

C'est à la demande des membres du CA, vendredi, que le rendez-vous qui devait avoir lieu ce matin a été reporté. Le CA va se concentrer jusqu'à demain sur la direction stratégique de la SRC dans un contexte économique difficile. «Après réflexion, on a demandé le déplacement de la rencontre (avec James Moore) pour éviter toute perception indue d'influence (de la part du ministre sur le conseil de la Société)», a expliqué M. Dubé.

Le CA a proposé à James Moore de se présenter à la fin de ses délibérations, mardi soir. Toutefois, comme le ministre sera à Calgary, la rencontre a été repoussée à une date encore indéterminée.

Le bureau de James Moore n'a pas été en mesure de préciser la forme que pourrait alors prendre cette rencontre. Hier, la porte parole du ministre, Stefany Rae, a insisté sur le fait que «cela fait partie du travail de rencontrer les représentants des organisations d'État».

Pierre Bélanger, professeur à l'université d'Ottawa et expert du fonctionnement de la société d'État, estime que le ministre Moore aurait commis un impair et fait preuve d'ingérence en participant à une rencontre du CA de la SRC. «Ce n'est pas un diffuseur d'État mais un diffuseur public. Il ne répond pas de ses actes au ministre, mais devant la Loi sur la radiodiffusion.»

Pierre Bélanger se dit par ailleurs très préoccupé par la situation financière de la SRC. Ottawa a annoncé la semaine dernière la disparition du Fonds canadien de télévision, qui garantissait des investissements de quelque 100 millions de dollars.

«Ce n'est peut-être pas un hasard que le ministre accepte maintenant de rencontrer le CA, a relevé M. Bélanger. Il cherche peut-être à se donner bonne conscience.»