Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a carrément été accusé de racisme, vendredi, parce qu'il refuse maintenant de délivrer un passeport à un Canadien coincé au Soudan.

Abousfian Abdelrazik, dont la famille réside à Montréal, avait réussi à abattre le dernier obstacle qui l'empêchait de rentrer au Canada, après avoir été retenu six ans au Soudan. Comme l'exigeait le gouvernement canadien, il avait obtenu un billet d'avion; son vol était prévu vendredi.

Pourtant, le matin même, son avocat canadien recevait un facsimilé du ministère canadien des Affaires étrangères l'informant que, contrairement aux promesses ultérieures, on ne délivrerait pas un document de voyage à M. Abdelrazik. La raison invoquée: il représenterait un risque de sécurité.

Son avocat, Yavar Hameed, entouré de députés de l'opposition, a tenu un point de presse à Ottawa pour dénoncer les derniers développements.

C'est à cette occasion que le député néo-démocrate Paul Dewar a déclaré que le ministre Cannon était raciste et que le sort de M. Abdelrazik serait différent s'il s'était appelé «Martin», faisant référence à une Canadienne emprisonnée au Mexique que le gouvernement Harper a réussi à rapatrier.

«Il (le ministre) a agi contre les recommandations de son propre ministère et ils sont revenus sur leur parole», a lancé le député Dewar.

Lorsqu'on lui a demandé si c'est le ministre Cannon, personnellement, qu'il accuse de racisme, il n'a pas hésité à acquiescer. «Il n'a pas donné à cet homme qui, comme par hasard, a une autre couleur de peau que d'autres citoyens qui ont eu de l'aide de ce gouvernement, un document de voyage», a fait valoir le néo-démocrate.

Amir Attaran, professeur de droit qui s'est joint à la cause de M. Abdelrazik, a renchéri en affirmant que tout Canadien qui a un nom hors du commun et une couleur autre que blanche devrait avoir peur dorénavant de voyager avec son passeport canadien. Brandissant son propre passeport, M. Attaran a dit qu'il n'osait plus l'utiliser.

«Le gouvernement a décidé que parmi nous, Canadiens, il y en a quelques-uns qui sont de vrais Canadiens et d'autres qui ne le sont pas, comme M. Abdelrazik. Ils n'ont pas les mêmes droits que les autres. Voilà du racisme!», s'est exclamé M. Attaran.

Le ministre Cannon, qui participe au Sommet de l'OTAN, à Strasbourg, en France, a confirmé en conférence de presse qu'il a refusé un passeport à M. Abdelrazik «pour des raisons de sécurité». Il n'a pas voulu en dire plus. À son bureau, à Ottawa, on a fait savoir qu'il ne réagirait pas aux accusations de racisme.

M. Abdelrazik a été arrêté au Soudan en 2003, alors qu'il y visitait sa mère. On le soupçonnait à l'époque de terrorisme. Il a été emprisonné, puis relâché. Les autorités soudanaises ont assuré, après enquête, qu'il n'appartenait à aucune organisation terroriste. La Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité ont, en novembre 2007, déclaré, eux aussi, qu'il ne représentait pas un risque pour la sécurité.

Il vit depuis 11 mois à l'ambassade canadienne, à Khartoum. Son avocat n'a pas pu l'y rejoindre vendredi matin et il s'inquiète maintenant qu'il en soit évincé.

Le prochain épisode de cette saga se jouera en cour fédérale le 7 mai. Une requête pour le rapatriement de M. Abdelrazik y sera entendue. Me Hameed dit qu'il a présenté sa requête en vertu de l'article six de la Charte canadienne des droits et libertés, article qui assure à tout citoyen canadien le droit de retour au Canada.

En attendant, Me Hameed et les députés de l'opposition espèrent que les Canadiens multiplieront les pressions sur le gouvernement Harper. C'est grâce à l'appui financier de 170 Canadiens que M. Abdelrazik avait pu acheter son billet d'avion, billet qu'il n'a pas pu utiliser.

Ses sympathisants ne semblent pas prêts à se laisser décourager, cependant.

À Montréal, vendredi, une vingtaine de personnes ont participé à l'une des 10 manifestations qui se tenaient à travers le Canada. La porte-parole des manifestants qui chahutaient devant les bureaux montréalais de Passeport Canada, Emilie Breton, a promis: «On n'arrêtera pas tant que M Abdelrazik ne sera pas ici.»